Lundi 22 septembre 2014 par Ralph Gambihler

Des années 70 à nos jours...

Drôle d'idée que de transposer une pièce de Brecht dans les années 70 pour en faire la genèse de Derniers remords avant l'oubli, de Jean--Luc Lagarce ! C'est pourtant ce qu'a tenté, avec vigueur et pertinence, le collectif In vitro animé par Julie Deliquet, fraîche émoulue de l'école du studio Théâtre d'Asnières sous la direction de Jean-Louis Martin-Barbaz. Connaissant le bonhomme, on n'est pas surpris de voir à quel point l'esprit de troupe -voire même l'esprit de bande- est porté ici à ébullition.

Brecht et Lagarce sur le même bateau, donc, comme pour mieux tirer le fil entre un repas de mariage raté quelques temps après Mai 68 et l'impossibilité du repas en tant que tel (comme moment de convivialité) vers la fin des années 80, puisque c'est de cette époque que date Derniers remords... Quand Lagarce pointe le renoncement, les amours défaits et  la tentation d'approcher le gouffre, le Brecht de La Noce relooké seventies installe sur scène le grand désordre et les premières lézardes au sein de la communauté.

Le mariage vire à l'aigre, la mariée est enceinte, le marié voit les meubles qu'il a lui même confectionnés se déglinguer un à un. Heureusement qu'il y a une nuit de noces ! Elle ne figure pas dans le texte de Brecht, mais lorsqu'il s'agit de la mixer avec le School de Supertramp, on est forcément conquis... On l'est pareillement, ou presque, lorsqu'après avoir donné une version carrément électrique de la pièce de Lagarce le collectif la prolonge par une création dont il est seul comptable.

In vitro façon ex nihilo, en somme...C'est le 3e volet du triptyque: Nous sommes seuls maintenant. On y retrouve l'acteur qui jouait le malheureux Pierre dans Derniers remords avant l'oubli, sauf qu'il a l'air beaucoup plus radieux (enfin, pas pour très longtemps...) dix ans plus tard, au côté de sa compagne et entouré d'amis dans une résidence secondaire des Deux-Sèvres. Et pourtant, là encore, table et agapes vont dangereusement zigzaguer et vaciller. Il faut dire que les baby-boomers de Brecht et Lagarce sont devenus des parents terribles. Ils jouent à être heureux sous le regard de la génération suivante, étonnamment placide, mais leur éternelle jeunesse sonne faux. Elle charrie le poids des non-dits, des déceptions, des idéaux moisis ou trahis.

La montée de la tension, dans ce 3e volet, peut paraître artificielle, sachant que tout part à vau-l'eau sous les effets alcoolisés d'un infernal jeu de la vérité. Mais l'essentiel est ailleurs, entre fusion, improvisation et vitalité débordante. Personnages et caractères font écho ou résonnent d'une pièce à l'autre. On dirait une saga, effectivement, sous forme de trois plans-séquences laissant advenir sur le plateau une ruée de paroles et de sentiments qui ont l'air de s'être échappés. Aux antipodes de l'esprit confus et potache d'un Sylvain Creuzevault qui brandit lui aussi, en cette rentrée, l'étendard d'un nouveau théâtre (Le Capital et son Singe sur la scène de la Colline...), Julie Deliquet s'acharne d'abord à rendre accessibles ses expérimentations. De quoi tendre un nouveau lien entre théâtreux et non-théâtreux. Cela fait du bien.

Des années 70 à nos jours/Triptyque: La Noce (Brecht), Derniers remords avant l’oubli (Lagarce), Nous sommes seuls maintenant, (création collective), par Julie Deliquet et le collectif in vitro. strong>Jusqu'au 28 septembre au Théâtre des Abbesses, à Paris, dans le cadre du festival d'Automne. Puis au Théâtre Gérard-Philippe de St Denis du 2 au 12 octobre. Coup de projecteur avec la metteur en scène ce mardi 23 septembre sur TSFJAZZ (12h30)