Delphine Seyrig, en constructions
La voici donc spectaculairement rajeunie. Depuis qu'un récent classement des 100 meilleurs films de l'histoire a rétrogradé Citizen Kane et autres Vertigo pour installer à la première place Jeanne Dielman, l'œuvre-culte de Chantal Akerman qui ressort ces jours-ci, Delphine Seyrig nous est plus que jamais contemporaine. C'est presque une revanche posthume pour cette comédienne partie trop tôt et à laquelle Jean-Marc Lalanne, rédacteur en chef aux Inrocks, consacre un essai lumineux.
On y découvre notamment une icône féministe qui s'est construite de film en film, parallèlement à des prises de position publiques qui se sont souvent heurtées à des propos sidérants. Michel Drucker, par exemple, qui interpelle l'actrice par la formule "il est vrai que vous êtes une femme qui pense "... Eh bien oui, elle pensait, Delphine Seyrig, avec en renfort cette voix inoubliable que l'auteur décompose presqu'amoureusement entre "grain délicat ", "voile infime " et "souffle chaud infiniment sensuel ". Elle a surtout pensé sa propre filmographie, jamais dupe de ses incarnations, envoûtante et décalée dans le même mouvement.
Même lorsqu'elle semble se lover dans la fantasmagorie d'un certain cinéma d'auteur masculin, une distanciation chemine. Ce ne sera plus bientôt la "belle étrangère un peu lasse, un peu mystérieuse, qui traîne son spleen d’une ville à une autre " (Les Lèvres rouges d'Harry Kümel), et encore moins la châtelaine, la grande bourgeoise, la fée-marraine de Peau d'Âne ou la fulgurante "apparition" façon Truffaut dans Baisers volés. Son épluchage de patates dans Jeanne Dielman, vision radicale de l'aliénation domestique au féminin singulier, casse tout cela. Même entreprise de démolition d'une certaine manière lorsque dans India Song une autre réalisatrice, à savoir Marguerite Duras, transforme Delphine Seyrig en "marionnette aphone, accomplissant les gestes de la mondanité comme une mécanique répétitive et absurde jusqu'à son propre anéantissement "...
La ligne droite, décidément, est étrangère à cette figure souveraine et rebelle, jusqu'à être tentée à ses débuts par l'Actors Studio, elle dont le jeu si minéral ne cessera pourtant, par la suite, de se dérober à toute approche psychologisante. Jean-Marc Lalanne nous apprend aussi qu'avant d'y renoncer elle-même, Delphine Seyrig a failli jouer le rôle de Romy Schneider dans La Piscine, ce qui aurait peut-être, tel le nez de Cléopâtre s'il eut été plus court, changé toute la face du cinéma français de cette période ou à défaut, rendu ce hit du box-office moins emprunt de vapeurs machistes.
Delphine Seyrig, en constructions, Jean-Marc Lalanne (Capricci Editions). Coup de projecteur avec l'auteur ce mardi 18 avril sur TSFJAZZ, à 13h30.