Décolonisations, du sang et des larmes
C'était le temps où, disait-on, la Méditerranée traversait la France comme la Seine traverse Paris. L'imaginaire colonial, incongruité et survivance dont le documentaire-événement de Pascal Blanchard et David Korn-Bzoza ausculte les spasmes et l'agonie avec une pertinence et un sens des perspectives dont les téléspectateurs de la chaîne Toute l'Histoire s'apprêtent à leur tour à bénéficier.
Bénéficiant d'une quantité d'archives dont la profusion sidère au regard d'une période si longtemps occultée, les auteurs passent en revue plusieurs décennies d'oppression et de combats libérateurs qui vont bien au-delà du segment algérien et de son prequel indochinois. L'Histoire, avec une majuscule, ne s'arrête pas d'ailleurs en 1962. Les Outremers poursuivent le mouvement avec, là encore, des épisodes dramatiques et des constats qui en disent long. Pour lancer les fusées, observe notamment Pascal Blanchard, la France choisira non plus le sud algérien mais Kourou, en Guyane. Les essais nucléaires "migreront" pareillement vers Mururoa, en Polynésie française.
"Le sang et les larmes " vont également couler à Damas, en 1945, lorsque les bombardements de l'aviation française font 5000 morts. De quoi solder de la pire des manières la fin du mandat français en Syrie et au Liban, premières brèches dans l'Empire face à ce qui est alors ressenti comme une manœuvre de la perfide Albion. Le Cameroun ne sera guère plus épargné, notamment lorsque le chef du mouvement insurrectionnel, Um Nyobé, auquel le chanteur-guitariste Blick Bassy a récemment rendu hommage, sera sauvagement assassiné en 1958, le visage méconnaissable après que son corps eut été traîné sur des kilomètres.
Un autre musicien camerounais témoigne dans ce récit que ne plombe aucune parole d'historien. Manu Dibango donnait là sa dernière interview, toujours le sourire aux lèvres en évoquant le passage des soldats de la France Libre dans sa rue. Pour le reste, ce sont bien toutes les mémoires -y compris celles des colons, des soldats français ou encore des harkis- qui ont droit de cité. Peut-être est-on encore davantage ému par les témoignages des enfants et des petits-enfants de ces témoins directs. Les souvenirs sont si vifs, ils parlent encore tellement au présent pour des générations entières quand aucun musée ni aucune rue ne regarde cette histoire en face, laissant à chacun le soin d'aller gober sur Internet de quoi se fabriquer son musée imaginaire.
Le mouvement s'accélère, pourtant. Un autre magnifique documentaire diffusé il y a tout juste un an sur Arte décentrait et féminisait ces combats, toujours sur le mode des décolonisations ultra-plurielles se réverbérant entre elles. L'Allemagne, la Belgique, les Etats-Unis par rapport à leur passé esclavagiste, ont fait eux aussi des pas de géant dans la reconnaissance d'un passé qui ne passait pas. Et la France ? Et notre République ? Jusqu'à quand s'aveuglera-t-elle sur ce que fut l'aveuglement de ses élites, de droite comme de gauche ? Avec Décolonisations: du sang et des larmes, Pascal Blanchard et David Korn-Bzoza nous enlèvent le bandeau des yeux avec l'espoir qu'ils restent constamment ouverts face à des infamies plus contemporaines.
Décolonisations : du sang et des larmes, Pascal Blanchard et David Korn-Bzoza. Diffusion en deux volets ce mercredi 13 janvier à 20h40 sur la chaîne Toute l'Histoire. Coup de projecteur avec Pascal Blanchard sur TSFJAZZ ce 12 janvier (13h30)