Vendredi 27 mai 2016 par Ralph Gambihler

Continuum

Phrasé haïku, groove enchâssé dans un labyrinthe d'harmonies, ambiance toute en hypnose sertie de minimalisme mais hermétique au surplace... S'embarquer dans la musique du pianiste suisse Nik Bärtsch, c'est s'offrir l'un des voyages les plus envoûtants de ce printemps discographique. Son nouvel album chez ECM, Continuum, le voit renouer avec son groupe d'origine, Mobile, formation étonnante à plus d'un titre, à commencer par son alliage instrumental: clavier, clarinette basse et double batterie avec, en bonus, sur trois titres, un quintette à cordes dont l'accomplissement lyrique prolonge l'énergie collective du groupe sans pour autant la ternir.

Chaque morceau est intitulé "module", suivi d'un chiffre. Comme dans une suite mathématique, jusqu'à rappeler, parfois, y compris dans la dimension ludique, certaines pièces de Vijay Iyer. Ce mix de transe et d'épure tourne le dos, en même temps, à toute tentation ésotérique, comme pour mieux préserver ses racines spirituelles. Clarinette venteuse. L'instrumentiste, Sha, semble préférer le souffle à la ritournelle, tendance derviches tourneurs. Les deux batteurs, aussi habiles aux percussions, se complètent à merveille. Kaspar Rast dans un registre incarné, puissant; Nicolas Stocker sur un versant plus chaloupé.

Aux claviers, Nik Bärtsch crée une tapisserie sonore fascinante, voyageuse, ciselée dans l'ascèse et le vertige. L'intro staccato du Module 5 part en spirale, rouleaux d'angoisse encore plus saisissants lorsqu'ils sont repris dans la gamme des aigus... Le climax de l'album survient avec l'ultime morceau (Module 8_11), ponctué par un beat funky carrément scotchant. Sur scène, une telle musique fait évidemment office de rituel.

L'autre soir, à la Maison des Océans, dans le cadre du festival Jazz à St-Germain-des-Près, personne, dans le public, ne se hasardait à perturber l'enchaînement des pièces par de banals applaudissements. Les vivats se libérèrent à la fin, infiniment reconnaissants à un Nik Bärstch au sourire zen dans son drôle de kimono, tel un pianiste féru d'arts martiaux et dont le jazz de samouraï n'a pas fini de nous ensorceler.

Continuum, Nik Bärtsch's Mobile (ECM)