Dimanche 30 septembre 2012 par Ralph Gambihler

Comment la terre d'Israël fut inventée

Il est déjà à part, en ces journées de juin 1967, lorsqu'il pénètre dans la Jérusalem orientale au lendemain  des durs combats du quartier Abou-Tor... "On est  sur la terre historique de nos ancêtres, exultent ses compagnons d'armes, on est à nouveau chez nous !"... Shlomo Sand, au contraire, se sent comme un étranger dans ces nouveaux territoires conquis où, quelques jours plus tard, un vieux Palestinien sera torturé sous ses yeux...  Il a connu la peur de sa vie à l'épreuve du feu et ne rêve que de faire demi-tour pour regagner un chez-soi qui n'a rien de biblique, là-bas, dans le quartier pauvre de Jaffa où il a grandi.

Déjà à part, effectivement. Au micro de TsfJazz, le "bad boy" des historiens israéliens qui sévit à nouveau ces jours-ci avec Comment la terre d'Israël fut inventée nous explique à quel point il était cancre à l'école, et donc forcément hermétique à l'usage de la Bible comme manuel d'histoire patriotique. Shlomo Sand n'a eu de cesse, depuis, de déconstruire les mythes, bibliques et post-bibliques, qui ont fondé l'expansionnisme israélien. Déjà, dans "Comment le peuple juif fut inventé", paru il y a deux ans, il mettait en pièces l'idée d'un peuple juif un et indivisible en démontrant avec brio comment la généalogie du judaïsme ne pouvait se résumer aux seuls Hébreux.

Et voilà que son nouvel essai se déploie dans un registre encore plus iconoclaste, notamment lorsqu'il est question des sources anglicanes (!!!) du sionisme, les Puritains anglais ayant été, pour ainsi dire, les premiers à convoquer le souvenir des Hébreux des temps anciens pour nourrir une sorte de "proto-nationalisme" qui se prolongera jusqu'à la fameuse déclaration Balfour en 1917. Ces mêmes Anglais seront par ailleurs sans pitié pour d'autres Juifs considérés comme pouilleux et mal habillés auxquels il ferment leurs frontières comme le feront plus tard les Etats-Unis, privant d'un précieux échappatoire les futures victimes de la Shoah.

Autre cible de Shlomo Sand, l'épopée des kibboutz, dont il met surtout en exergue l'ostracisme envers les éléments arabes et leur exclusion du marché du travail sioniste jusqu'à décourager toute tentative de mariage mixte au nom d'on ne sait quelle" pureté" de peuplement sur la terre si longtemps convoitée. L'historien rebelle s'en prend également à ceux qui aiment Israël seulement lorsque Israël est fort: "Ainsi, écrit l'auteur, avec le soutien financier et politique des juifs de la diaspora, fiers de leur patrimoine d'outre-mer mais peu désireux de s'y établir véritablement, l'Etat d'Israël  a commencé à s'enliser durablement dans la boue de l'occupation et de l'oppression. Des colonies en expansion et un régime militaire qui applique un type d'apartheid n'osant pas dire son nom, et dont il est difficile de décrypter la logique historique, sont devenus partie intégrante de la trame du vécu israélien".

Aux dernières nouvelles, Shlomo Sand a mis la touche finale à un nouvel essai à paraître en mars 2013 sur l'identité juive qu'il voit comme une coquille vide, la notion même de "peuple juif" lui paraissant le comble de l'imposture. On n'est pas certain de le suivre sur ce point, même s'il y a lieu de se réjouir de voir ainsi cheminer un esprit libre emprunt d'une radicalité si féconde.

"Comment la terre d'Israël fut inventée: de la Terre sainte à la mère patrie", Shlomo Sand, (Flammarion)