Mercredi 23 septembre 2009 par Ralph Gambihler

Coffret TSF JAZZ 1999|2009 10 ans

1999 : A peine on arrive, il se casse...  Michel Petrucciani nous laisse en testament une obsession mélodique qui sera la colonne vertébrale de 10 ans de programmation sur TSF... Cette même obsession qui amène Giovanni Mirabassi à faire une première  escale "place de la Mairie ",  laissant déjà entrevoir comment l'exigence artistique, le sens de  l'amitié et la fidélité peuvent s'enchevêtrer sur notre antenne sans aucun problème.  Du côté des Antilles, la cause est déjà entendue, à l'image du doux et aguerri Alain Jean-Marie dont le cocktail be-bop et biguine est à consommer sans modération... On parle beaucoup d'Erik Truffaz, enfin, en cette première année 100% jazz sur TSF, mais on n'en est pas encore à se bagarrer sur le fait de savoir s'il faut ou non prononcer la dernière lettre de son nom...

2000 : Une sorcellerie symphonique dévaste tout sur son passage... Il faudra attendre de longues années encore (jusqu'au Nascimento/Belmondo peut-être...),  pour retrouver une déferlante tropicale aussi torrentielle que le "Bebé " d'Hermeto Pascoal...  Il faudra également attendre très très longtemps pour que l' Américain James Carter revienne sur le devant de la scène... Retrouvera-t-il pour autant l'allant de ce "GP " qui en fait alors le saxophoniste le plus prometteur du moment? Bojan Z, lui, les tiendra sans aucune difficulté, ses promesses, à partir de son lancinant "Grana Od Bora " qu'on croirait tout droit sort d'un film de Kusturica. Même topo pour Laurent de Wilde... L'irruption de son âme "monkienne" sur un tapis de breakbeats avait quand même plus de tenue, cette année là, que les entreprises du sieur Saint-Germain...

2001: Cher Patrick Saussois... On dit qu'elle continue toujours à crapahuter dans ta tête et dans ton coeur, "la roulotte " qui nous ensoleillait en ce début de millénaire, surtout avec "La bikina", titre-phare de l'album... Cette année là, un autre talent, tout aussi intègre, nous scotche par sa densité et une mise en espace exceptionnelle... Il s'appelle Jean-Philippe Viret, et entre lui, "Madame Loire " et nous, c'est désormais à la vie et à la mort... Les Italiens, eux, sont toujours là. Alfio Origlio inaugure avec sa reprise des Bee Gees un défi  jazz/pop qui ne manquera pas d'être brillamment relevé par beaucoup d'autres dans les années à venir... Enfin avec "El Pueblo Unido Jamas Sera Vencido ", extrait de son "Avanti " internationaliste, Giovanni Mirabassi offre à TSF ce qui sera l'un des plus beaux hymnes de l'histoire de la radio.

2002: un souffle, du rythme, un standard avant la lettre pour celui qui affirme qu'il n'en jouera pas avant 40 ans... Julien Lourau dégaine à tout rompre dans un "saloon" d'anthologie.... Une princesse de cristal venue d'on ne sait quelles aurores boréales nous illumine également cette année là.  Lisa Ekdahl a plongé sa reprise de "Cry me a river " dans les fjords de sa Suède natale, et ça n'a vraiment rien de glacial...Et puis le coup de chaud, on se le reprend pleine poire avec un cocktail bop et bossa nova cette fois ci,  servi de main de maître par Xavier Richardeau... Son "Broussanova " nimbé de mélancolie caribéenne sera l'un des premiers grands "tubes" des années TSF...  En 2002, enfin, Michel Graillier n'a plus que quelques mois à vivre... A-t-il revu Chet,  sur "l'île aux cygnes " où reposent les âmes rebelles et les poètes déchirés ?

2003: une flûte, des arpèges, des sonorités de satin, et un type qui se fout déjà avant bien d'autres de savoir si c'est jazz ou pas jazz ce qu'il fait... Avec "Element 12", de Vincent Artaud, un paysage est né... TSF va par ailleurs de surprises en surprises cette année là. Qui aurait cru que ces swingueurs de première que sont les frères Belmondo se mettraient soudainement à chatoyer des vieux trucs de chorale et des pièces liturgiques comme le "Notre père  " de Maurice Duruflé ? Qui aurait cru que le "Pierre et le loup " de Prokofiev soit revisité, tout en humour et en finesse, par l'étonnant Stéfano Bollani ? Qui aurait cru, enfin, que le si cérébral Antoine Hervé se dénuderait sur une mélodie aussi fondante, tout en réverb' et en effleurements ?  "Histoire lente d’une résilience, urgence de la raconter ", dira-t-il à-propos de "Just Live To Tell the Tale"...

2004 : avec les Belmondo, l'histoire ne fait que commencer... Un an après "L'Hymne au soleil", Stéphane Belmondo rend hommage à Stevie Wonder avec l'immémorial "Girl Blue " et surtout ce "Secret Life of Plants" beaucoup moins diffusé (presque 13 minutes, le morceau !) mais aussi poignant que la version qu'en donnera Eric Légnini quelques cinq ans plus tard... Mais revenons cinq ans plus tôt, alors qu' Avishai Cohen sculpte ses premières merveilles... Et déjà ça chante un peu, dans "Lyla ", et déjà on en a le coeur serré, comme dans "La Chanson d'Hélène " de Boulou et Elios Ferré,  fratrie aussi vibrante que les frangins Belmondo... N'aurait-on eu finalement que le choix des larmes en 2004 ?  Le joyeux Xavier Richardeau en décide autrement... Encore un tube, un vrai de vrai !  "It makes sense, Maxence", ça s'appelle, c'est dédié à son fils, et sur les ondes de TSF, on n'a pas fini de chalouper dessus.

2005: l'année terrible... Les coups de coeur jouent aux autos tamponneuses... Intro signée Laurent Coq ("Claude Sait ") ...  Premier gros plat de résistance en pleine savane africaine avec l'impressionnant "Look the Lobis " du trio Romano/Sclavis/Texier... Le son n'a jamais aussi été musclé sur Paris 89.9... Yusef Lateef fait franchir un nouveau sommet aux frères Belmondo. Un diablotin coiffé à l'iroquoise, Olivier Témime, funkise à tout va sur "The Messager". Le Moutin Reunion Quartet balance un "Take it Easy " tout aussi puissant et Julien Lourau récidive avec "Messieurs les Anglais, tirez les premiers" tandis qu'avec sa reprise de "Sunny ", Elizabeth Kontomanou met par terre le public de l'Opéra-Comique venu assister à la soirée TSF "You & The Night & The Music". Il n'y a pas encore de bataille d' Hernani autour de Robert Glasper et de son hypnotique "Rise and Shine "... 2005, l'année terrible... Parti en solo faire un petit tour chez les Beatles, Baptiste Trotignon est revenu main dans la main avec "Julia ". Ce sera son chef d'oeuvre.

2006: je me souviens du verre de vin rouge chez Pierrick Pédron, juste avant le triomphe de son disque américain, "Deep in a dream "... Un bon vin profond, comme la sonorité velours de "Change Partners", comme le feeling d'instinct avec un corsaire breton prêt à tous les abordages... Je me souviens de mes yeux embués, dans une voiture, la nuit, à Paris,  en écoutant la maquette de l'album "Brel Artero"... 2006... Franck Avitabile ou l'enfance de l'art avec "Childhood Memory "... Cette année là également, une improbable ritournelle, "Bhaktapur ",  nous retournait l'âme en déclinant le spleen manouche sur des modes indiens... "Une bien belle musique ! ", s'exclamait dans les "liners note" un certain Patrick Saussois au sujet de l'accordéoniste Daniel Givone...

2007: Et l' Olympia flamboyait... Et Avishai Cohen entrait dans la légende ce soir là, avec son "Eleven Wives " désormais gravé dans les sillons du live made in TSF...  Deux mois auparavant, on découvrait, un peu dubitatif au départ, et puis finalement médusé, Matthieu Boré, un crooner-pianiste particulièrement doué pour remettre Fred Astaire au goût du nouveau siècle... Avec Stochelo Rosenberg en revanche, les fredonnements auront été plus familiers, comme s'il avait été là, avec nous, dés le départ, pour "mélodiser" Django jusqu'à cette version tellement chouette de "Lentement mademoiselle "... Et puis il y eut Evan Christopher, qui aurait pu être un enfant de Django s' il n'était pas d'abord un orphelin de Katrina... Il a tout perdu là-bas, à la Nouvelle-Orléans, si ce n'est ce son de clarinette mâtiné créole pour bercer de swing, de nostalgie et de sentiments les songes automnaux de l'illustre manouche...

2008: Allez, on va refermer ce coffret des 10 ans sur la foudre et l' orgie en grand orchestre... On va se réécouter Milton Nascimento  l'enchanteur au côté des deux frères Belmondo qui n'auront cessé, finalement, à chaque disque, de franchir un palier de plus dans l'irréductibilité... Et puis on va rester symphonique, toujours au-dessus des nuages, où Danilo Perez pianote les diamants finement ciselés de l'immense Claus Ogerman... Non, surtout ne pas toucher terre... S'envoler avec Caravan Palace, partir sur la planète Mars avec Monica Passos ou alors se hisser à la hauteur d'un David El Malek tutoyant les légendes bibliques avec un souffle et une inventivité qui détonne dans le jazz hexagonal...  Et puis  terminer sur la prose de Pierre Barouh dans la  "Samba Saravah " chère à son coeur et sublimée par une Stacey Kent au sommet de son art... "Etre heureux, c'est plus ou moins ce qu'on cherche. J' aime rire, chanter et je n'empêche pas les gens qui sont bien d'être joyeux"... De quoi repartir encore pour au moins 10 ans de jazz heureux sur TSFJAZZ...

COFFRET TSF JAZZ 1999|2009 10 ANS (Wagram/Nova Records) Sortie le 28 septembre.