Claude Miller ou la 2eme mort de François Truffaut
Sa mine un peu austère et son classicisme apparent n'ont jamais dissimulé l'essentiel: Claude Miller était un cinéaste de l'âme dont les films se sont incrustés au creux de l'intimité cinéphile pour toute une génération.
Au creux et pas au coeur. Miller ne prétend pas au statut de maître du 7eme art. Marqué par les thématiques d'Ingmar Bergman, il en reprend tout ce qui a trait à l'humiliation et aux cruautés du genre humain, mais dans un registre mezzo voce. Bien au fait des codes du cinéma français, il en travaille l'implosion plus que l'explosion. L'art des nuances le protège de tout académisme. La noirceur des sentiments ne vire jamais au glauque. La justesse du ton nous percute à la première personne du singulier. On ne s'est jamais vraiment remis -osons l'oxymore- du charme douloureux des films de Claude Miller.
Avec François Truffaut, dont il fut l'assistant, il partageait cette même attirance pour les chutes libres, les dérapages subreptices vers le border line, les idées fixes qui vous décramponnent peu à peu du quotidien. Il en résultait, au choix, des odyssées transies ("Dites lui que je l'aime"), des polars aussi obsessionnels que ceux d'Alain Corneau ("Garde à vue", "Mortelle Randonnée") ou des chroniques d'âge tendre parsemées de plantes plus ou moins vénéneuses dans les jardins secrets ("La meilleure façon de marcher", "L'Effrontée", "La Petite voleuse")...
Tout comme François Truffaut, Claude Miller savait également sublimer ces grands acteurs qui n'ont pas toujours eu des choix heureux dans leur carrière. Lino Ventura et Michel Serrault vont se révéler à eux-même dans l'infernal face-à-face de "Garde à vue", avec en bonus l'une des apparitions les plus bouleversantes de Romy Schneider. Patrick Dewaere atteindra des sommets d'ambiguïté dans "La Meilleure façon de marcher" et si Isabelle Adjani explose de sensualité en mai 2003 dans "L'été meurtrier" de Jean Becker, c'est d'abord son aura d'icône aux mille visages que Claude Miller transfigure, deux mois auparavant, avec cette "Mortelle Randonnée" qui reste, presque 30 ans plus tard, l'une des descentes aux enfers les plus achevées du cinéma français
Dans ce film, Adjani assassine ses amants en fredonnant "La Paloma", fuit d'abord elle-même sur une B.O. entêtante de Carla Bley et plonge dans le néant en jetant sa voiture du haut d'un parking, comme en écho aux éclats de verrière dans la scène de la piscine de "Dites lui que je l'aime", séquence qui fait elle-même écho à Michel Blanc recroquevillé sur son plongeoir dans "La meilleure façon de marcher"... C'était cela, les films de Claude Miller: le grand saut vers l'inconnu, les trajectoires brisées, les damnations au fil de l'eau... C'est ainsi qu'on devient un cinéaste-culte.
Claude Miller (20 février 1942-5 avril 2012)