Vendredi 17 avril 2009 par Ralph Gambihler

Claude Luter: Saint Germain Dance

Au sortir de la guerre, Claude Luter réveille la France. C'est au "Lorientais " que ça se passe... Avant le Tabou, avant St-Germain-des-Près, le jazz français tutoie déjà la légende dans cette cave parisienne de la rue des Carmes, près de la place Maubert. Les filles débarquent en masse, les existentialistes s'incrustent... Avec son physique de playboy, sa clarinette vigoureuse, la Nouvelle-Orléans de ses rêves et sa manière peu orthodoxe de donner le tempo, Claude Luter incarne alors une vitalité et un mordant qui vont faire pâlir tous les académismes.

"Je voulais, disait-il, m'exprimer à la manière des musiciens noirs: chaudement, violemment "... C'est d'abord cette rébellion et cette candeur un peu sauvage que Fabrice Zammarchi, lui-même musicien et fin biographe il y a une vingtaine d'années d'un certain Sidney Béchet,  restitue en quelques 450 pages qui donnent chaud au coeur. Car on sait bien, aujourd'hui, que la postérité n'a pas toujours été bienveillante envers Claude Luter...

Elle est un peu mauvaise langue, la postérité: elle insinue que le clarinettiste aurait choisi le mauvais camp au moment où il était impossible, paraît-il, d'aimer à la fois le be-bop et la musique new-orleans (Boris Vian aimait pourtant les deux genres)... Elle va ensuite un peu statufier Luter, la postérité, en le consacrant comme l'embaumeur en chef de Sidney Béchet dont il a partagé l'heure de gloire devant les fauteuils saccagés de l' Olympia comme sur les rives d'Antibes, mais sans forcément y trouver l'épanouissement absolu. Elle a été  bien dégueulasse, finalement, la postérité : pas un mot (ou à peine deux lignes, ce qui est encore pire...), dans les colonnes de "Libé", le lendemain du décès de Claude Luter !

La plume complice et  attentionnée de Fabrice Zammarchi nous ferait presque oublier ces mauvaises manières. Avec en bonus un prodigieux travail iconographique, le biographe fait revivre la légende du Lorientais. Il rappelle à quel point il détestait les frontières, notamment entre le jazz et la chanson. Luter était pote avec Aznavour, Yves Montand... Il prenait même plaisir à "jazzifier" certains succès de variété... Jusque dans les années 80, il est régulièrement invité par  Jacques Chancel dans "Le Grand Echiquier". Il participe aussi aux émissions de Jean-Christophe Averty. C'était vraiment un âge d'or pour le jazz, cette époque...

Et Claude Luter méritait cet âge d'or... Il en a été la superstar, ou plutôt l'ambassadeur intègre, au service d'un jazz dont il savait bien qu'il déclinerait sitôt perdu son caractère populaire... Ce qui fascine enfin chez Luter, c'est son indifférence à une certaine mythologie propre à la note bleue. Ses addictions, il ne va pas les chercher dans les substance illicites et mortifères que prisaient tant ces "Parkériens" un peu trop  extra-terrestres à ses yeux... Sa drogue, c'est  plutôt la part d'enfance qu'il garde en lui, avec en point d'orgue cette fameuse maquette de la Nouvelle-Orléans à laquelle prennent également part Pierre Atlan et Pierre Merlin.

De la même manière, Claude Luter n'a guère d'attirance pour les "grandes causes"... C'est un irréductible, un ombrageux...  En 1943, la Résistance a laissé les Nazis fusiller ses camarades bûcherons qui avaient porté assistance à des parachutistes anglais dans un camp de jeunesse... Il mettra très longtemps à raconter cet épisode de sa vie... On trouvera encore bien d'autres souvenirs et anecdotes stimulantes dans l'ouvrage de Fabrice Zammarchi, dont il faut rappeler qu'il fut très proche de Claude Luter. Même pudeur, même discrétion, même soif de précision chez le Lorientais comme chez son biographe... Même fidélité également, dans la transmission d'une musique dont Luter aimait à rappeler qu'elle avait d'abord été inventée pour dispenser de la joie et du bonheur de vivre sans compter...

Claude Luter: St Germain Dance, de Fabrice Zammarchi (Editions Favre) Coup de projecteur avec l'auteur, le 23 avril à 8h30, 11h30 et 16h30 + Diffusion intégrale de l'interview dans le 20h de TSF le même jour...