Clairières dans le ciel
Ce n'est pas la première fois que des jazzmen entendent des voix. En 1963, déjà, dans "A New Perspective", le trompettiste Donald Byrd atteignait le divin en associant pour le label Blue Note un orchestre de choeurs à un septette de jazz. "Cristo Redentor", composé par le pianiste Duke Pearson, en sera le chant sacré dans tous les sens du terme. Donald Byrd est à Paris à la même époque. Il y complète sa formation sous la tutelle d'une pédagogue de renom, Nadia Boulanger, et découvre, époustouflé, les pièces orchestrales et vocales composées par sa soeur, Lili Boulanger, morte à 25 ans, en 1918.
Elles ont fait du chemin, depuis, les voix de Lili, bluffant Donald Byrd mais aussi Herbie Hancock, Wayne Shorter et... Lionel Belmondo! Après "L'hymne au soleil" qui concrétisait déjà en 2003 cette rencontre à-priori improbable entre jazz modal et musique post-impressionniste française et après "Influence" qui prolongeait l'exploration sous le parrainage de Yusef Lateef, le saxophoniste fait de nouveau assaut de lyrisme, d'émotion et d'intelligence musicale avec ces "Clairières dans le ciel" dont le titre, encore une fois, est emprunté à Lili Boulanger avec le concours à la fois inattendu et décisif de Latvija, le prestigieux Choeur National de Lettonie.
Elles transcendent tout, ces voix lettones... Associées aux timbres de l'ensemble Hymne au Soleil, elles nous arrachent des frissons sur les morceaux de Lili Boulanger (avec une préférence pour "Nous nous aimerons tant" et surtout le déchirant "Demain fera un an") que Lionel Belmondo et Christophe Dal Sasso ont réorchestrés avec parfois d'étonnants accents bluesy ("Je garde une médaille d'elle")... L'album reprend également des pièces pour orgue de Olivier Messiaen et Marcel Dupré, dont le liturgique "Lamento" permet aux choeurs de Latvija de s'affirmer comme l'écrin rêvé à l'un des solos de trompette les plus accomplis que nous ait jamais offert Stéphane Belmondo, fidèle parmi les fidèles...
Autre sommet du disque, "Enigma", composé par Lionel Belmondo pour Yusef Lateef, lequel clôt cet opus avec une pièce nimbée de plénitude... Cette musique, au final, est comme une toile de maître dont l'artiste en chef, sans doute parce qu'il a pris quelques distances au fil des années avec la scène hexagonale, nous fait désormais entendre un jazz de liberté pure qui se propulse aux antipodes de lui-même pour mieux se ressourcer. Alors, oui, qu'il continue, Lionel Belmondo, à peindre des clairières dans le ciel, à écouter les orgues qui jouent pour lui, et surtout, qu'il continue à entendre ses voix ! Nous serons derrière lui comme une procession dans les rues de Riga.
"Clairières dans le ciel", Lionel Belmondo, l'ensemble Hymne au Soleil et le Choeur National de Lettonie (B-Flat/Discograph)... Lionel Belmondo sera l'invité du 20h de TSFJAZZ le 29 novembre prochain, à la veille de son concert à la Dynamo de Banlieues Bleues