Chambre 2806 : l'affaire DSK
"J'allais dire : 'service d'étage'. Et cet homme est venu vers moi. Nu "... Nafissatou Diallo, le retour. Si économe de ses interventions durant l'affaire du Sofitel jusqu'à donner prise à ceux qui s'acharnaient à la décrédibiliser, la femme de chambre qualifiée par Dominique Strauss-Kahn de "relation inappropriée " prend enfin le temps de nous glacer le cœur. D'un épisode à l'autre, pourtant, le ressenti du spectateur vacille. Peut-être en fait-elle trop. Peut-être que ses larmes d'impuissance sont aussi des larmes de défaite face à certaines zones d'ombre. Les victimes, hélas, sont rarement de bonnes comédiennes.
DSK ne pourra jamais encourir le même reproche. Dans cette affaire vieille de neuf ans -une éternité-, il la joue constamment mezzo voce. De quoi amadouer une justice américaine habituellement si féroce quand il est question d'agression sexuelle. L'ancien patron du FMI qui se voyait déjà à l'Élysée n'aura subi en fin de compte que l'enfer de sa chute. Pour ce qui est d'atténuer la glissade, et avec l'aide de communicants dûment rétribués par son épouse, il retrouvera tous ses talents, jusqu'au sordide post-scriptum du Carlton qui lui aliène à la fois Anne Sinclair et l'opinion.
Rythme, montage, grain d'image carrément classieux... Dans son formatage Netflix -qualité indéniable lorsqu'il s'agit de cette chaîne- Chambre 2806 captive le spectateur de bout en bout. Pas de corbeaux, certes, ni de sapins ou de paparazzis repentants comme dans l'évocation hyper ambiancée de l'affaire Grégory, mais tout de même un vrai regard, celui d'un réalisateur de fiction épaulé par l'agence CAPA, Jalil Lespert. Se défiant de tout procès à charge, il multiplie les angles d'approche et les témoignages, donnant notamment un visage et surtout une âme aux policiers qui ont débuté l'enquête.
Lespert filme aussi une certaine rutilance new-yorkaise: gratte-ciels, palaces, suite présidentielle... Et puis le Bronx, là où vit Nafissatou Diallo. Bref, les enjeux de classe transpirent. Comme le souligne l'un des défenseurs de DSK, la justice américaine est peut-être la même pour tous, mais lorsqu'on en a les moyens financiers, elle est sans doute plus "égale" pour les uns que pour les autres. Le raccrochage avec #MeToo est davantage surligné. Il a au moins le mérite de déplacer notre regard, l'affaire du Sofitel relevant désormais plus de l'instantané sociétal que de la déflagration politique.
Le documentaire démonte efficacement, à-ce-propos, les allégations sur un pseudo-complot sarkozyste visant à faire tomber DSK. Pour le reste, notre colère est-elle vraiment plus intense qu'il y a neuf ans en entendant encore et toujours les mêmes arguments, repris ici par Jack Lang, Elizabeth Guigou, Thierry Ardisson ou encore l'avocat Richard Malka relativisant, hilare, les compulsions sexopathes de Dominique Strauss-Kahn, la façon dont elles ont fonctionné en réseau, les dominations et les humiliations dont elles furent la source ? Même flux de rage, presque 10 ans après, comme quoi un documentaire "formaté Netflix" peut aussi renforcer une conscience citoyenne.
Chambre 2806 : l'affaire DSK, Jalil Lexpert, agence Capa, en ce moment sur Netflix.