Dimanche 4 mars 2012 par Ralph Gambihler

Ceci n'est pas une autobiographie

A 84 ans, Daniel Filipacchi n'a que faire des réputations établies, des conseils pontifiants et du politiquement correct. Ce monsieur est une légende et il s'en fiche éperdument. Clin d'oeil à Magritte ("Ceci n'est pas une pipe"), le titre de ses mémoires donne d'ailleurs le ton: malice, désinvolture, impertinence... C'est ainsi qu'on devient un éternel jeune homme.

On le devine, certes, plutôt fier d'avoir bâti un véritable empire de presse, de "Paris-Match" à "Lui", en passant par "Salut Les Copains". On n'est pas non plus très surpris de voir que "Citizen Kane" figure parmi ses films favoris. Mais qu'on ne compte pas sur Daniel Filipacchi pour nous donner les clés du succès, sauf à prendre au premier degré son fameux "L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tard..." dont évidemment aucun candidat à la présidentielle, et surtout pas notre président sortant, ne fera un slogan de campagne.

De toute façon, Filipacchi déteste la politique. Son côté anar de droite le rend également hermétique à toute une mythologie qu'il est de bon ton de célébrer:  quand on lui parle de Prévert, Montand ou de Simone Signoret, notre homme fait la grimace. Mai 68, pour lui, c'est de la frime. Plus étonnant encore, Daniel Filipacchi résume la Libération de Paris à une "pénible mascarade" où certains excités de la gâchette s'en donnèrent à coeur joie en voulant faire croire qu'ils chassaient les Allemands de la capitale alors qu'ils ne faisaient en réalité que ralentir leur fuite. On est d'ailleurs assez stupéfait de voir que parmi ces excités figurait celui qui fut pour ainsi dire son ennemi intime, un certain Georges Figon, "voyou de bas étage" impliqué, quelques décennies plus tard, dans l'enlèvement de l'opposant marocain Mehdi Ben Barka.

On l'aura compris, Daniel Filipacchi n'est pas avare de coups de boule, bien qu'il soit encore plus prodigue de coups de coeur. Bibliophile effréné et collectionneur de toiles surréalistes, il reste avant tout le co-animateur, avec son ami Franck Ténot, de la mythique émission "Pour ceux qui aiment le jazz"... Ça lui vient de loin, de très loin même... Peut-être du temps où, gamin, Django l'emmenait manger des glaces à la pâtisserie du coin...

Il y aura aussi l'amitié avec Dizzy Gillespie, la rencontre évidemment fondatrice avec les tourments de Charlie Parker, la complicité avec Norman Granz, Nesuhi Ertegun sans oublier Art Blakey que Filipacchi surprend en pleine cuite au Cafe Bohemia... "Ce soir, je me suis saoulé la gueule, dira le batteur des Jazz Messengers, parce que j'en ai assez de jouer pour des crétins qui ne comprennent rien"... em>"Avec un peu de morphine, rien n'est grave", écrit également Daniel Filipacchi. Convenons dés lors qu'à défaut d'une autobiographie au sens étroit et solennel du terme, l'auteur nous offre ici un beau manuel de savoir-vivre.

"Ceci n'est pas une autobiographie", de Daniel Filipacchi (XO Editions)