Samedi 7 janvier 2012 par Ralph Gambihler

Causes communes. Des Juifs et des Noirs

La crispation identitaire, c'est leur biceps. Pour s'en vacciner à jamais et se laver de cette tous ces relents de haine que les Dieudonné et autres pyromanes de la concurrence des mémoires ont inoculé dans le discours ambiant, il faut absolument lire "Causes communes. Des Juifs et des Noirs", de Nicole Lapierre. Sans angélisme et sans masquer les tensions qui ont pu générer aigreur et ressentiment en fonction du sort de telle ou telle minorité dans un certain contexte, la sociologue revient sur tous ces moments où Noirs et Juifs ont fraternisé, à l'image du rabbin Abraham Heschel accompagnant Martin Luther King lors des grandes marches de Selma pour les droits civiques en 1965.

Elle s'affirme dés le début du 20ème siècle, cette nécessité de faire cause commune face à ceux qui lynchent et qui persécutent. Dans un éditorial de 1911 qui a pour titre "Alliés"W.E.B. Du Bois, l'une des premières grandes âmes du peuple afro-américain, écrit ceci à-propos des Juifs : "Ils sont nos meilleurs amis, et nous nous réjouissons de les voir sortir du ghetto où les Noirs viennent juste d'entrer". Par la suite, Du Bois sera l'un des premiers dans sa communauté à alerter sur le danger nazi et on le retrouvera, bien plus tard, compagnon de route du PC américain après avoir été victime du Maccarthysme.

Le légendaire Paul Robeson trouvera lui aussi dans "L'Atlantide engloutie du communisme" un levier commun à la cause juive et à la cause noire... Fêté à Moscou (où le jazz sera pourtant bientôt mis à l'index), il lance, "Ici, je ne suis pas un nègre mais un être humain"... Paul Robeson s'initie également à la culture ashkenaze, chante en yiddish et puise dans les paroles bibliques de "Go Down Moses" un hymne à la libération du peuple Noir, allant même jusqu'à  théoriser une proximité musicale entre les chant hassidique et le prêche noir traditionnel. "Il transpose ainsi une ligne politique en ligne mélodique", écrit Nicole Lapierre.

D'autres passeurs, mais cette fois-ci du côté Juif. Le clarinettiste Mezz Mezzrow, bad boy parmi ses "frères" noirs, Abel Meeropol, qui pousse l'admiration de Billie Holiday jusqu'à lui offrir "Strange Fruit" ou encore le trompettiste Red Rodney, que Charlie Parker fait passer pour un noir Albinos dans les Etats du Sud où les orchestres mixtes sont interdits... L'ouvrage revient également sur la pratique plus ambigüe du chant en blackface dans laquelle s'est notamment exercée Sophie Tucker, l'inoubliable interprète de "Some of These Days", ainsi qu'Al Jolson dans le film "Le Chanteur de Jazz"...

On l'aura compris, ce n'est pas la moindre qualité de Nicole Lapierre que de convoquer de belles figures musicales, voire jazzistiques, pour forger son "anthropologie de l'empathie" entre Noirs et Juifs. On pense aussi à ce bel éclat de rire du saxophoniste Jacques Schwarz-Bart à la fin du poignant chapitre consacré à ses parents, André Schwarz-Bart, l'auteur incompris du "Dernier des Justes" et sa compagne, Simone Schwarz-Bart, née de parents guadeloupéens. Ces deux là se sont aimés en écrivant à quatre mains, faisant résonner dans une même démarche "transmémorielle", à la fois littéraire et poétique, l'Esclavage, la colonisation et la Shoah... Ils ont fait écho, de coeur, et pas seulement dans l'abstraction, à  Edouard Glissant affirmant que "chacun a besoin de la mémoire de l'autre", à Franz Fanon qui écrivait que l'antisémitisme le touchait en pleine chair, ou encore à Aimé Césaire qui scandait: « Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcutta, un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas"... Révise tout ça, Dieudonné !!!! Peut-être qu'après tu diras moins de bêtises.

Causes communes. Des Juifs et des Noirs, Nicole Lapierre (Editions Stock) L'auteur sera l'invitée des Lundis du Duc, sur TSFJAZZ, ce 9 janvier, à 19h, en direct du Duc des Lombards, avec à ses côtés le clarinettiste Yom et le pianiste Alain Jean-Marie.