Casher Nostra
Au royaume de la marijuana, Maxime Goldenberg a sa propre grille de lecture: "Si l'astéroweed était un musicien, elle serait Glenn Miller. La graine de bouddha serait Miles. Et la Chrysanthème... Bird." Et voilà comment un jeune dealer spasmophile et enjazzé jusqu'au coup se retrouve embarqué dans une odyséee à la Breaking Bad. Car cette fameuse "Chrysanthème" dont la "suprême connectique " vous embrase sur "le beat d'un combo grunge klezmer", Maxime Goldenberg l'a tout simplement subtilisée aux dispensaires de l'Etat. Sa seule motivation ? Trouver de l'argent pour placer en clinique sa mère atteinte d'Alzheimer. Pas sûr que les services de police et autres caïds jaloux de leur clientèle soient sensibles à l'argument.
Emaillé de citations de Sun Râ, le polar existentiel de Karim Madani frappe d'abord par son décor. Nous sommes à Arkestra, ville-monde de nulle part que l'auteur avait déjà arpentée dans un précédent roman. Mégapole post-apocalyptique, décrépite et dévitalisée, Arkestra est à nouveau zoomée, ici, mais à travers son quartier juif, Hanoukka. La Casher Nostra qui y faisait la loi n'est plus qu'un lointain souvenir. Les chefs de cette Yiddish Connection faisaient au moins barrage, même au prix du sang, à l'atomisation et au chacun pour soi. Mais Hanoukka n'est plus aujourd'hui qu'un quartier ghettoïsé sans âme, grignoté par le marché, par les promoteurs et dont le panorama urbain se résume à "une série d'holographies morbides, degré zéro de l'obturation dans un déluge hurlant de diaphragmes malades"...
Proliférante et survitaminée, l'écriture de Karim Madani cavale au gré de mélopées technoïdes façon Maurice Dantec. Elle ne lésine pas non plus sur l'humour à la fois glacial et acide pour évoquer la tentation de "l'Exode" d'un jeune feuj pas très orthodoxe (Il préfère nettement Ornette Coleman à Avishaï Cohen...) et ne rêvant, au final, que de walkyries goy et de farniente tropical dans n'importe quelle république bananière.
On y croise, enfin, deux ou trois beaux personnages féminins: une maman déglinguée par la maladie et dansant sur un disque de Benny Goodman, ou encore une adolescente peignant sur les murs les portraits des morts tout en transformant son hangar en "chapelle sixteen de la désolation urbaine". Et Karim Madani d'ajouter: "C'était la madone d'Arkestra, protégeant le fruit de ses entrailles avec une dizaine de bombes aérosols"... Le polar noir urbain, décidément, vient de se dénicher un rythmicien hors-pair.
Casher Nostra, de Karim Madani (Le Seuil). Coup de projecteur avec l'auteur, ce lundi 9 décembre (12h30) sur TsfJazz.