Jeudi 11 octobre 2018 par Ralph Gambihler

Caribbean Stories

Dans les notes de pochette de l'album, Christiane Taubira évoque la "sérénité grondante" de ces Caribbean Stories enfantées par Samy Thiébault. "Il semble parfois que Strayhorn marche pieds nus dans La Havane", surenchérit le journaliste né de père guadeloupéen Bertrand Dicale. Difficile de placer le curseur plus haut, sauf à constater que le saxophoniste qui nous a déjà tant bluffés et émus avec son ébouriffante relecture des Doors suivie d'un autoportrait tout en renaissances plurielles mérite mille fois d'aussi éminents supporters.

Avec lui, de toute façon, "je" est toujours un autre. On le savait depuis quelques temps Vénézuelien, on percevait en lui un In a Sentimental Mood éperdument créole. La musique de Samy Thiébault miroite désormais de tessitures tropicales ou "s'enjazzent" au gré de ses pérégrinations caribéennes calypso, merengue, chachacha et autres boléros.

Chaque morceau a une histoire, chaque morceau est l'Histoire, chaque contrée musicalement et physiquement arpentée, de Caracas à Trinidad, en passant par Cuba, est une contrée d'insoumis, d'opprimés et de libérateurs. L'esclavage et le martyr amérindien sont passés par là, la musique fait autant office d'étendard que d'évasion, elle se joue des genres, des étiquettes, des hiérarchies. Dans Jazz News, Samy le globe-trotter cite un vétéran trinidadien dont les musiciens états-uniens ne parvenaient pas à jouer le calypso. "Pensez bebop !", leur a-t-il lancé, et l'affaire fut réglée instantanément...

Les coltraniens sont des mangeurs d'étoiles. Sur ce morceau, justement, Les Mangeurs d'étoiles, le saxophoniste dont le souffle spirituel n'est plus à démontrer met de la fièvre dans son spleen, comme une saudade portée à ébullition. "Ces musiques varient", observe encore une fois si finement Christiane Taubira, "elles crient rarement", et c'est bien ce qui nous touche le plus dans cet album (on pourrait aussi évoquer le tempo mezzo voce de Tanger la Negra...), ce cocktail de fête et de mélancolie, ce goût du carnavalesque sans pour autant pulser dans la samba et, par dessus tout, la chaleur humaine.

C'était d'abord cela, Coltrane, la chaleur humaine, avant la transe, avant l'effusion, avant l'assomption spirituelle. C'était le collectif, également. Un solo de trombone (Fidel Fourneyron), une contrebasse tutélaire (Felipe Cabrera), deux guitaristes habités (Hugo Lippi et Ralph Lavital), un percussionniste-conteur (Inor Sotolongo), sans oublier le batteur le plus prometteur du moment (Arnaud Dolmen)... La complicité qui relie toute cette équipe regorge de fougue, de tendresse et de soleils.

Caribbean Stories, Samy Thiébault (Gaya Music). Concert au Café de la Danse, à Paris, jeudi 15 novembre.