Bruno Reidal
D'abord ce visage convulsif traversé par un sourire aussi inopiné qu'effarant, ensuite la douceur gracile de l'intonation, le timbre légèrement chantant... Ce décalage de quelques minutes entre l'apparence de l'assassin au moment de son crime et le timbre de sa voix lorsqu'il se rend à la gendarmerie donne le ton de l'énigmatique et époustouflant Bruno Reidal, premier film de Vincent Le Port autour de l'histoire vraie d'un jeune paysan ayant sans mobile apparent poignardé et décapité un gamin de 12 ans en 1905, au fin fond du Cantal.
L'apparence, la voix, les troubles, les motivations... Tout va continuer à faire mystère autour de ce psychopathe auquel l'extraordinaire Dimitri Doré prête une allure chétive, sournoise et illuminée, sans oublier un regard de bête traquée façon Denis Lavant à ses débuts. Trois psys de la vieille école interrogent l'assassin, notamment sous l'angle de sa sexualité, mais ce dernier ne lâche que des bribes. Il lui est alors conseillé d'écrire le récit de son odyssée, ce qui génère encore une autre énigme tant ce monstre fait œuvre de lucidité sur lui-même.
De là à élucider les racines du mal... Vincent Le Port maintient au contraire une sorte de clair-obscur sur l'itinéraire du damné: la mère acariâtre, le père tendre mais alcoolo, le cochon qu'on égorge sous les yeux de l'enfant, le berger vicelard qui lui fait découvrir la masturbation jusqu'à inoculer dans son esprit un lien désormais indissociable entre désir et volonté de tuer ou de faire souffrir... Aucune fille dans cet horizon, comme pour mieux suggérer l'homosexualité refoulée du personnage, à moins qu'il ne faille convoquer la piste de la revanche sociale au vu de la bonne situation des condisciples qu'il rêve d'égorger.
La densité du propos capte d'autant mieux l'attention qu'elle ne fait jamais l'objet d'un quelconque surlignage. La tentation d'excuser le meurtrier en visant les institutions officielles, que ce soit l'Église ou alors les trois médecins qui interrogent le meurtrier, est pareillement évacuée. Entre deux chromos sulpiciens (l'école, les études, le séminaire...) cisaillés de pensées ténébreuses, un jansénisme moins retors que celui d'un Bruno Dumont consume l'écran au gré d'une palette picturale dont les sources d'inspiration proviennent de photographies et de cartes postales d’époque.
À quand faut-il remonter pour retrouver un premier film français aussi impressionnant de maîtrise ? Au-delà de son vrai-faux classicisme, la mise en scène que nous offre Vincent Le Port relève d'un art dépouillé de toute frénésie factice et aux antipodes de la modernité affectée qui caractérise trop souvent une certaine tendance du cinéma français. Toujours à bonne distance par rapport à son personnage en ne forçant ni sur la fascination, ni sur la répugnance, Bruno Reidal possède l'éclat d'un diamant noir. Il serait dommage que son sujet peu glamour en atténue l'écho auprès du grand public.
Bruno Reidal, de Vincent Le Port, Semaine de la Critique au dernier festival de Cannes. Le film est sorti mercredi.