Brad Mehldau au théâtre du Châtelet
L'autoroute de ses rêves s'est arrêtée au Châtelet... Brad Mehldau donnait à voir et à entendre ce lundi soir toute la magie et les audaces de "Highway Rider", son dernier album génialement casse-gueule sorti au printemps. La soirée tenait du fantasme, surtout pour les accros au jazz symphonique qui n'ont jamais vraiment élucidé le mépris dont l'association "swing & strings" a toujours fait l'objet dans certains milieux, y compris lorsque ce sont des gens comme Charlie Parker ou Clifford Brown qui tentent d'ajouter des "cordes" à leur arc.
Il faudrait être en même temps bien grincheux pour dénigrer l'apport, au Châtelet, de l'Ensemble Orchestral de Paris dirigé par Scott Yoo. On aurait presque acquiescé, par moments, à ce que les décibels se hissent à quelques coupables extrémités tant cet orchestre brillait par son refus du pompeux et son respect des talents individuels entourant le pianiste. A vrai dire, on ne voit guère ce qui aurait pu, d'une manière ou d'une autre, troubler le plaisir d'être là et les cavalcades de Joshua Redman au saxe.
Celui là, on le sait et on le sent, est le favori de l'ami Brad. Même à l'écoute du disque, au printemps, on n'avait pas compris à quel point le saxophoniste, instrumentalement parlant, est le personnage principal de l'album. Les autres sidemen n'étaient pas en reste, lundi soir... Le trio piano/contrebasse/batterie sur "Into the City", avec notamment l'impeccable Larry Grenadier et le virevoltant Jeff Ballard, fut ainsi l'un des climax de la soirée. Quelle magie également dans cette façon de jazzifier soudainement une intro symphonique par un simple accord de contrebasse prolongé d'un coup de cymbale et d'une seule, longue et puissante note au piano.
Et Brad Mehldau dans tout ça ? Il était, nous a-t-on dit, moins maladif qu'en d'autres circonstances... Les mains blanches (à la Bill Evans, disait naguère Aldo Romano cité par Michel Contat), la silhouette amaigrie, la rareté du sourire, cette allure de Mozart un peu livide dévoré par la plénitude de son art, nous renvoyaient en même temps à ce qu'il peut y avoir, parfois, d'extraordinairement poignant et de singulier chez ces artistes que l'on dit maudits. Le dernier rappel où, enfin seul sur scène, l'oiseau de nuit se mit à capturer et à dompter le fameux "Smells Like Teen Spirit" de Nirvana, restera, à ce titre, l'un des moments les plus énormes de l'année 2010 sur la scène jazzistique.
Brad Mehldau en concert. C'était lundi 22 novembre au théâtre du Châtelet à Paris.