Mardi 4 octobre 2022 par Ralph Gambihler

Blonde

L'état vaguement nauséeux dans lequel on ressort après avoir découvert sur Netflix le film d'Andrew Dominik nous invite  à nous replonger dans l'œuvre originelle de Joyce Carol Oates. Le Monde résumait ses intentions en ces termes: saisir Marilyn Monroe dans ses échappements, ses camouflages, ses efforts d'adaptation face aux prédateurs pullulant à Hollywood. Pour cela, se teindre en blonde et descendre en enfer: une mère timbrée, un père inconnu, un duo démoniaque formé par les fils Chaplin et Eddy G. Robinson, des avortements, une fausse couche, Kennedy en dernier des saligauds... La coupe est pleine.

On imagine, n'ayant pas lu le livre, ce que la plume visionnaire et paroxystique de Joyce Carol Oates pouvait faire jaillir à partir d'un tel regard. À l'écran, c'est autre chose, comme si en la matière la fidélité n'était pas la meilleure conseillère. Soudain défilent les gros et ridicules sabots freudiens dès lors que Marilyn surnomme chacun de ses amants ou maris "Daddy " alors même qu'à l'écrit ça pouvait passer... Même malaise quant à la manière de filmer son enfance chaotique, le réalisateur grossissant les traits de la fillette terrorisée par ce que sa mère lui fait subir.

Ainsi se retrouve-t-on à la fois happé et désemparé par cette mise à mort progressive de l'icône. Happé indiscutablement parce que se déploie ici une rage de cinéma indéniable, une légion d'idées fortes censées faire immersion, et aussi des tentatives honorables de croiser le parcours d'une star avec ses films les plus célèbres. Le Certains l'aiment chaud de Billy Wilder devient soudain un drame à la lumière d'un ou deux extraits, et c'est plutôt bien amené.

Pour le reste, Andrew Dominik a choisi de renforcer le caractère glauque du récit en recourant à des procédés malhabiles, entre les plans de fœtus qui se succèdent à l'écran et la fellation imposée par JFK que la caméra filme de manière douteuse. Au moins ne fait-il pas de Marilyn une idiote. Elle a lu Tchekhov, Dostoïevski...  Dans l'un des trop rares moments où elle tient un vrai discours, Arthur Miller craque pour elle alors qu'au départ il la regardait de façon méprisante. C'est à ces instants qu'on préfère songer, avec en renfort la prestation particulièrement habitée d'Ana de Armas, plutôt qu'aux tentatives pseudo-lynchiennes d'un cinéaste qui finit par brasser du vide.

Blonde, Andrew Dominik (actuellement sur Netflix)