Batucada Jazz
Au début j'ai cru à un enregistrement réalisé à la fête de la bière à Munich... Il faut dire que c'est de retour d'Allemagne que Sébastien Vidal, notre directeur d'antenne, nous ramena il y a quelques semaines le nouvel album de Magnus Lindgren, "Batucada Jazz", avec un premier morceau un peu balourd comme ça à première écoute, comme dans ces fins de soirée particulièrement arrosées où ça chante paillard, la mousse aux lèvres, avant de finir la nuit au fond du tonneau... "Alligator" -c'est le titre de la chanson- n'en finit plus, depuis, de rythmer notre printemps 2010 sur les ondes de TSFJAZZ avec sa furia swinguesque et ses effluves festives qui relèvent plus à vrai dire d'une samba ensoleillée dans les rues de Rio que d'un crachin munichois sponsorisé par Kronenbourg.
On est évidemment un peu honteux de ne pas avoir saisi d'emblée sous quels tropiques se baladait la chose, mais il faut bien admettre que le monsieur sur la pochette du disque ne ressemble pas vraiment à priori à Caetano Veloso. Magnus Lindgren est Suédois. Il a, certes, toute l'élégance et la virtuosité requises pour traîner ses guêtres ailleurs qu'à la fête de la bière de Munich, mais de là à l'imaginer aussi formidablement à l'aise avec les batucadas, ces orchestres riants qui rythment les sambas brésiliennes, il y avait un océan qu'on n'osait guère franchir... L'écoute de son album ainsi que le concert qu'il a récemment donné au New Morning confirment pourtant à quel point les musiciens scandinaves ont de la fougue à revendre.
Sous la glace, le feu.. On peut crânement groover en mode boréal, lorsqu'on s'appelle Magnus Lindgren, surtout lorsqu'on est capable, dans le même élan, de déployer des lignes mélodiques que n'auraient pas reniées un Tom Jobim... Prêtez l'oreille à "Rio Shadow", "Dalodrum" ou encore "Soofa"... Ce n'est que fluidité, pulsation et volupté, avec dans la foulée une inventivité stupéfiante dans les arrangements.
C'est tour à tour doux et puissant, joyeux et poignant. D'autres morceaux font entendre une sensibilité hard-bop qui n'engendre aucun ennui. L'instrumentiste, lui, est à la hauteur du compositeur: tournoyant entre saxe, clarinette et flûte, il subjugue tel un acrobate des vents, s'offrant même le luxe de tâter du clavier en simultané, comme on l'a vu l'autre soir au New Morning, même si sur disque il laisse ce soin à un excellent pianiste, Kiko Continento, auteur d'un hallucinant solo accompagné aux percus dans le titre éponyme de l'album. L'ensemble laisse au final une impression virevoltante, au coeur d'un jazz chantant et dansant qui tape forcément dans le mille lorsqu'il se fait d'abord plaisir...
"Batucada Jazz", Magnus Lindgren (Enja Records)