Lundi 15 mai 2023 par Ralph Gambihler

Basquiat x Warhol, à quatre mains

Ce n'est pas forcément la toile la plus riche ou la plus imposante de l'exposition, mais elle en résume bien l'esprit: deux tours Eiffel noires entourées de drapeaux tricolores plus ou moins délavés et de grenouilles farceuses... Plus à droite, le même monument penché façon tour de Pise. On dirait qu'elle swingue, cette troisième tour Eiffel, avant de prendre son élan, telle une fusée aux traits rouges. À croire qu'aux côtés d'Andy Warhol, Basquiat s'est révélé encore plus fantasque et effronté, à moins que ce ne soit Warhol qui ait rajeuni aux côtés de Jean-Michel Basquiat, semblant s'encanailler encore davantage sur le plan artistique. Deux âmes à quatre mains se transfigurent ainsi l'une l'autre.

Plus de trente ans les séparent pourtant lorsqu'au milieu des années 80, le pape du Pop Art et l'électron libre du Street Art réalisent ensemble environ 160 toiles. Autre différence qui n'a rien d'anodin, la couleur de peau. Chacun apporte également son tempérament, comme le montre avec éclat Dos Cabezas, le double portrait -et autoportrait- réalisé par Basquiat à l'époque: l'aîné arbore une mine dubitative et vaguement énigmatique alors que son vis-à-vis a l'allure d'un chien fou et joyeux, les cheveux en bataille. Une vidéo rend compte par ailleurs de leur complicité avec un Warhol ironique qui ne se départit jamais de son masque de cire tandis que la spontanéité de Basquiat ne cesse de pétiller, restituant une conversation préparée en amont tout en improvisant dessus.

De fait, tout est jazz dans ce jeu à quatre mains, à commencer par l'art avec lequel Warhol pose le thème à travers tel ou tel fond de peinture tandis que le lutin qui lui tient compagnie enchaîne les variations. Basquiat lutine, oui, mais pas seulement... Sa rage africaine-américaine prend souvent le dessus. Elle transforme en chaîne des anneaux olympiques, elle tague avec le mot "negro" un homme noir qu'un taxi refuse de prendre, ou alors elle plaque de manière tout aussi viscérale les fantômes de Charlie Parker et de Billie Holiday sur des motifs qui leur sont extérieurs, le logo d'une marque de bicarbonate de soude par exemple. De quoi donner envie d'aller visiter Basquiat Soundtracks, l'autre expo du moment à la Philharmonie de Paris sur ce qu'ont été les influences musicales du jeune peintre trop tôt disparu...

Parfois, on ne sait plus trop qui fait quoi, genre free jazz. En témoigne cette toile balafrée de partout, 6.99, en écho à un accident et à une tentative d'assassinat dont les deux artistes ont été victimes la même année, en 1968. Couleurs vives, fracassantes, sur une toile immense. Il y en a d'autres tout aussi surdimensionnées, notamment en largeur. Avec sa dizaine d'espaces répartis en plusieurs étages, l'écrin doré et futuriste conçu par Frank Gehry en plein bois de Boulogne en constitue le réceptacle idéal. On est alors comme devant un big band.

Basquiat x Warhol, à quatre mains. Fondation Louis Vuitton. Jusqu'au 28 août. À réécouter également "Le New-York de Jean-Michel Basquiat" dans Caviar & Champagne, sur TSFJAZZ.

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