Dimanche 12 juin 2022 par Ralph Gambihler

Awé !: Les inédits

Cerise sur le gâteau ou alors nouvelle corbeille de fruits plus citronnés les uns que les autres ? Plusieurs mois après Awé!, point d'orgue d'une trilogie créolisant ses exaltations caribéennes et son goût des écrins dorés, Samy Thiébault en présente pour ainsi dire le deuxième mouvement. Rien à voir avec un post-scriptum tant ces inédits, gardés au chaud lors des sessions de Miami et de Paris d'où a été extrait l'album originel, en prolongent l'arborescence stylistique entre fête et mélancolie.

On retrouve ainsi autour du saxophoniste, telle une jam après un concert, l'emballante symbiose mi-acoustique mi-électrique constituée de cadors de la scène cubaine (le batteur Dafnis Pietro en tête...) rejoints par un trompettiste aussi expérimenté que Brian Lynch et un orfèvre des claviers additionnels et autres chœurs numériques qui n'est autre qu'Éric Légnini. Awé! a aussi bénéficié, on s'en souvient, du concours d'un orchestre de chambre et d'un quintette à cordes. Mêlé à un art foisonnant de la composition -qualité qu'on ne souligne pas assez chez Samy Thiébault-, cet ensemble est suffisamment riche de combinaisons pour rendre ce nouveau cru étonnamment autonome par rapport au précédent.

Il y a, certes, ce que le musicien appelle les morceaux en forme de miroir... Baudelairien dans l'âme comme le prouve une émission à laquelle il vient de participer au côté de Patrick Chamoiseau et Raphaël Imbert, Samy Thiébault tisse des "correspondances" dont il a le secret: Electric Carnival, par exemple, électrifie brillamment, comme le suggère son titre, les effluves de samba de Blue Carnival en septembre dernier tout en s'inspirant de sa ligne mélodique. Wild Song, au contraire, résonne comme un reflet un peu moins musclé mais paradoxalement plus dense que le Wild originel qui n'était pas forcément le morceau qu'on préférait dans Awé !

Et puis il y a les morceaux qui ne font écho à rien d'autre qu'à leur saveur propre: le si chaloupé Moovin, notamment, ou encore Miami, la seule composition de ces inédits signée Éric Légnini dont l'emprunte semble davantage présente dans ce nouveau florilège. On aime beaucoup également Utopias, dédié à ce Venezuela aussi enfiévré que souffreteux qui a tant marqué Samy Thiébault, et on fond littéralement sans pour autant sombrer à l'écoute du langoureux Locura, car comme nous l'explique Samy Thiébault lui-même, cette ballade inspirée d'une chanson cubaine et qui bénéficie d'une orchestration ciselée échappe au tragique grâce à un "changement de tonalité en la majeur qui intervient à un moment et qui allège, ou alors qui met en perspective le sentiment de gravité inaugural ". Créoliser, en quelque sorte, surtout quand les temps sont difficiles, c'est redonner le sourire.

Awé !: Les inédits, Samy Thiébault (en version digitale sur Bandcamp). Samy Thiébault sera en concert le 17 juin au Maison-Laffitte Jazz Festival, et au Bal Blomet à Paris le 23 juin.