At The Gates Of Paradise
Et dire qu'on a failli terminer l'année sans écouter le John Zorn cuvée 2011... C'est toujours pareil, de toute façon: pléthorique et tentaculaire, la discographie zornienne a tendance à s'égailler dans sa propre stratosphère, en-dehors des circuits promotionnels habituels, et c'est souvent au petit bonheur la chance (la chance prenant ici le visage d'une chronique particulièrement alléchante de Jacques Denis dans le dernier numéro de Jazz News) qu'on parvient à dénicher la pépite rare, même si c'est encore une fois avec un sacré temps de retard...
Ça y est ! Le disque est dans nos mains, et la pochette donne déjà le tournis... Lumière orangée sur une main de femme caressant un serpent près du sein, le motif est signé William Blake, un peintre mystique du 19ème siècle hanté par des visions bibliques et qui aimait à dire que "si les portes de la perception étaient purifiées, chaque chose apparaîtrait à l'homme comme elle est, infinie"... Les Doors s'en inspirèrent, paraît-il, pour graver leur légende, avant que John Zorn ne récupère la palette pour prolonger à sa manière une quête des temps anciens qui ne se résume pas, loin de là, à la relecture de la musique juive traditionnelle.
Les huit pièces qui composent "At The Gates of Paradise" n'ont rien à envier, à vrai dire, au répertoire de Masada ni aux arcs-en-ciel fignolés par The Dreamers, ce sextette qui a déjà permis à John Zorn de hisser le easy listening au rang d'art majeur. On retrouve, d'ailleurs, trois membres des Dreamers dans cette nouvelle aventure: Kenny Wollesen au vibraphone, Trevor Dunn à la basse et Joey Baron à la batterie, avec en bonus John Medeski, arraché temporairement à son funky trio Medeski, Martin & Wood pour venir jouer, ici, un rôle décisif au piano et à l'orgue, les claviers s'imposant comme l'élément moteur sur pratiquement tous les titres du disque (sauf peut-être sur The Æons, où là, c'est plutôt le vibraphoniste qui joue à Merlin l'Enchanteur), à l'image du rôle dévolu à la guitare de Marc Ribot dans l'épopée The Dreamers.
On se retrouve ainsi avec une formule à la Modern Jazz Quartet qui scintille de partout, toute en évidence lyrique sur The Eternals, romantique et chantante sur Song of Experience, enjouée façon "Dreamers" sur Dance of Albion ou alors au contraire dans les teintes sombres avec Liber XV et son riff hypnotique à l'orgue ponctué par des effluves de vibraphone et le cliquetis de caisse claire de Joey Baron... Le sommet de l'album, sans doute parce qu'il témoigne de tout ce qu'il a d'ensorcelant dans l'interaction instrumentale, est atteint sur Dream of Nine Nights, avec ses accélérations limite post-bop qui n'entament en rien la douceur et la délicatesse ciselée de ce qui est d'abord un véritable travail d'orfèvre... On est comme un poisson dans l'eau dans cette musique là.
"At The Gates of Paradise", de John Zorn (Tzadik/Orkhestra)