Mercredi 8 septembre 2021 par Ralph Gambihler

Aretha Franklin respectée par "Respect"...

Dans le sillage du déplorable Billie Holiday, une affaire d'Etat sorti au printemps, Aretha Franklin allait-elle à son tour agoniser dans la case biopic ? Venue du théâtre, la Sud-africaine Liesl Tommy n'a heureusement pas les mêmes prétentions que Lee Daniels. C'est à la fois ses limites et sa vertu. Limites d'une écriture formatée qui ramène souvent le parcours de "la reine de la soul " à un beau livre d'image, vertu d'un groove propre à cette épopée, au diapason d'une Jennifer Hudson qui, dans le rôle-titre, trouve la voix d'Aretha Franklin sans pour autant perdre la sienne.

L'enfance d'une reine n'est pas forcément ce que le film réussit de mieux. Le sourire béat, la gamine est montrée comme un animal de foire par son père (Forest Whitaker fait son numéro de pasteur impétueux et imprévisible, ce n'est pas toujours désagréable...) dans un salon familial fréquentés par d'illustres fêtards: "Dis bonjour à Oncle Duke, Aretha ! ", "N'oublie pas tante Ella ! ". Séquence gênante, même si Mary J. Blige paraît moins désarticulée dans la peau de Dinah Washington. On n'est guère mieux convaincu par le personnage mélodramatique de la mère qui vit séparée de son mari.

Le récit parvient pourtant à se mettre progressivement en place. Suggéré sans trop s'étendre sur le sujet sous peine de partir dans une toute autre direction, le trauma de jeunesse d'Aretha Franklin (et la grossesse précoce qui en résulte...) se prolonge dans la rencontre avec Ted White, son premier mari et manager aussi impliqué en "fierté noire" qu'en violences conjugales. Marlon Wayans en donne une vision moins caricaturale qu'on ne pouvait le craindre, surtout lorsque son personnage s'intègre dans le segment purement musical du film, à savoir le "work in progress " qui va mener Aretha Franklin à forger son propre style.

C'est la partie la plus réussie. On y retrouve d'ailleurs dans une scène saisissante Dinah Washington outrée qu'Aretha reprenne en club l'une de ses chansons. Episode réel, ou presque. Dans la vraie vie, c'est Etta James que la volcanique Dinah avait prise en grippe. Belle trouvaille de scénario que cet emprunt qui catalyse l'entre-deux dans lequel se trouve Aretha Franklin durant sa période jazz chez Columbia. Autant sa reprise de Nature Boy subjugue, autant les clés de sa transcendance sont ailleurs. Elle les trouvera dans les studios Muscle Shoals d'Alabama sous la houlette de Jerry Wexler, le légendaire producteur d'Atlantic Records... et avec des musiciens blancs !

La mise en scène décortique avec panache ce processus de création musicale qui va amener les hits historiques (Respect, Think, Chain of Fools...). Aretha Franklin prend enfin l'initiative. "Baisse d'une tierce  !", l'entend-on lancer à sa frangine choriste. Voilà qui nous change de ces biopics présentant une éclosion artistique comme un don inné. Le film ne prend guère le temps malheureusement de cerner les engagements politiques de la chanteuse. À ce titre, l'épisode Angela Davis aurait mérité d'être moins bâclé. L'enregistrement gospel de l'album Amazing Grace, enfin, est une belle conclusion mais la fiction ne fait pas vraiment le poids lorsqu'on a encore en mémoire les images du documentaire de Sydney Pollack consacré à cet événement.

Au-delà de ces réserves, Respect remplit plutôt bien son cahier des charges, et Aretha Franklin aurait été fière de celle qu'elle avait de son vivant personnellement choisie pour l'incarner à l'écran. Jennifer Hudson n'imite pas la "reine de la soul ", elle l'incarne. On pourra toujours gloser sur son jeu d'actrice, ses performances de chanteuse et sa manière de réinvestir un répertoire connu sans en trahir l'esprit ont valeur d'offrande, d'autant plus que le film n'est pas économe en séquences purement musicales et que l'ensemble est filmé avec énergie et sensibilité.

Respect, Liesl Tommy (Sortie en salles ce mercredi)