Anémone, fleur sauvage...
Bohème et farouche, Anémone était la fleur sauvage d'un cinéma français tristement fané à ses yeux. Le temps passant, elle vira cash, cocktail de gouaille et de colère contre le show biz, contre la tartufferie de l'époque, contre cette planète allant à vau-l'eau et qui lui donnait envie de résister sur le mode écolo et altermondialiste. Le temps re-passant, elle ne résista plus. Puisque le corps sombrait, ne lui restait plus que le masque d'une vraie-fausse acariâtre, ni maquillée, ni relookée. "Je veux renouer avec la vie de légume que j'affectionne", disait-elle dans une interview au Monde.
Larmes de rire dans Le Père Noël est une ordure, larmes tout court dans Le Grand chemin et Le Petit Prince a dit... Contre vents et marées, elle avait su nous bluffer dans plusieurs registres, dégingandée et pudique, provocante et généreuse. Ce zeste de perversité, également, que Michel Deville avait magnifié dans Péril en la demeure...
Et toujours ce formidable capital de sympathie émergeant de bien des comédies qu'on aurait probablement oubliées sans cette silhouette de grande bringue d'autant plus sexy qu'elle était déconnectée de tout glamour. De Ma Femme s'appelle reviens au Quart d'heure américain, en passant par Viens chez moi, j'habite chez une copine et Pour cent briques, t'as plus rien..., elle crevait l'écran en permanence, avec cette insolence sublimée que ses camarades du Splendid vont perdre, peu à peu, alors que l'ingrate Thérèse du Père Noël restera pendant longtemps belle et rebelle, sans jamais se départir de ce timbre vocal éraillé et volontairement dissonnant qui n'appartenait qu'à elle.
L'authenticité, c'était son trésor. Cela lui suffisait à hisser un mélo campagnard (Le Grand chemin) à la hauteur d'un grand récit romanesque. Le rôle de sa vie viendra devant la caméra de la regrettée Christine Pascal. Dans Le Petit Prince a dit, Anémone joue Mélanie, cette actrice fière et indépendante reconnectée à son ex-époux autour d'une enfant malade. Lorsqu'elle craque sur une scène de Milan où elle répète une pièce de Copi, c'est tout le film, déjà si juste et si puissant jusque là, qui devient ce qu'il est désormais dans bien des cœurs, à savoir ce joyau noir et rare des années 90.
Elle s'appelait Anne Bourguignon. C'est le réalisateur Philippe Garrel qui lui avait donné ce nom d'Anémone aux pétales sauvageonnes mais dont les couleurs peuvent aussi symboliser, dit-on, l'espérance, la sollicitude et la sincérité.
Anémone ( 9 août 1950-30 avril 2019)