American Fiction
Mais qu'a donc de commun avec son illustre homonyme -surnom inclus- le personnage principal d'American Fiction, Thelonious "Monk" Ellison, alors qu'il est par ailleurs dépourvu de toute sensibilité jazzistique ? Un caractère parfois difficile ? Une quête de succès longtemps infructueuse ? Une farouche envie de transcender les stéréotypes associés aux Africains-Américains en dépassant tout le monde, noirs et blancs confondus ? Un peu des trois, serait-on tenté de penser au regard des pérégrinations de ce drôle d'écrivain et professeur de littérature.
Enfin, "drôle" n'est pas vraiment l'adjectif qui convient au personnage tant il paraît fâché contre la terre entière. Principal motif d'énervement, le succès soudain, alors qu'il est en pleine panne d'écriture, d'une autrice africaine-américaine, comme lui, sauf que la jeune femme s'est surtout contentée de surfer sur les clichés exploitant les violences et les souffrances d'une communauté noire paupérisée à outrance. Puisque c'est ainsi, notre ami Thelonious va lui aussi balancer un texte tout aussi low cost dans un style à la fois châtié et provocateur, se faisant passer par la même occasion pour un repris de justice en cavale.
De quoi mettre en exergue l'autre référence induite par son nom de famille, Thelonious "Monk" Ellison renvoyant à l'écrivain africain-américain Ralph Ellison. Même allergie chez lui à toute assignation de couleur, jusqu'à ne pouvoir publier qu'une seule œuvre majeure, Homme invisible, pour qui chantes-tu. Ralph Ellison avait également répondu au très virulent Amiri Baraka en dénonçant le "terrible fardeau de la sociologie " dans la façon dont le pamphlétaire revisitait, voire caricaturait l'histoire du jazz façon Black Power.
Souvent efficace, la tonalité satirique du film ne permet peut-être pas de retrouver la profondeur politique de Effacement, le roman de Perceval Everett dont s'inspire le metteur en scène Cord Jefferson. Il y a des maladresses -la scène où l'écrivain fait revivre physiquement parlant les personnages de son polar trash- des longueurs, notamment quand la caméra s'attarde sur les drames familiaux ou les déboires amoureux du héros, et peut-être aussi un trait parfois un peu gros lorsqu'il s'agit de se moquer des intellectuels blancs qui s'offrent le grand frisson face à un livre pourtant bâclé... Le scénario reste cependant suffisamment original pour capter l'attention, et dans le rôle principal, Jeffrey Wright possède à la fois l'élégance et la niaque qui rendent au final son personnage plutôt attachant.
American Fiction, Cord Jefferson, nommé pour l'Oscar du meilleur film, à découvrir sur Prime Vidéo.