Abécédaire Armstrong (de A à Z)
A comme All-Stars: C'est à l'automne 1947, quelques mois après son grand concert au Town Hall de New York, que Louis Armstrong forge la première mouture de son légendaire All-Stars. À ses côtés, des musiciens renommés: strong>Jack Teagarden, Barney Bigard ou encore son ami de jeunesse, le pianiste Earl Hines. Bien que le personnel de ce sextet devienne par la suite assez mouvant, le succès ne se dément pas. Face au be-bop conquérant, le trompettiste maintient un répertoire traditionnel dans des salles prestigieuses comme le Symphony Hall de Boston. Si ces deux tubes de l'an 50, La Vie en Rose et C'est si bon, ont d'abord été gravés avec l'orchestre de Sy Oliver, c'est avec son All-Stars qu'Armstrong signera au milieu des années 50 deux de ses plus grands albums, Louis Armstrong Plays W.C Handy et Satch Plays Fats.
B comme Basin Street Blues. ll y eut bien sûr la session inaugurale du 28 juin 1928, celle de West End Blues, mais celle du 4 décembre de la même année, toujours à Chicago, est aussi restée dans l'histoire puisque c'est ce jour-là que Louis Armstrong et ses Hot Five immortalisent Basin Street Blues. Composé par le pianiste Spencer Williams, le titre du morceau se réfère à la rue principale de Storyville, le quartier interlope de la Nouvelle-Orléans fermé en 1917. D'où cette nostalgie cristalline qui imprègne le morceau avec notamment l'introduction au célesta d'Earl Hines. On y entend aussi Armstrong scatter, et surtout développer un solo de trompette inouï de robustesse. Satchmo, comme on le surnommait, reprendra ce morceau dans un tempo plus enlevé en 1933 pour le label Victor. Une cinquantaine d'autres versions suivront.
C Comme Chicago. Ça commence par un télégramme. Celui que le trompettiste King Oliver envoie à son protégé durant l'été 1922 en lui proposant de le rejoindre à Chicago, nouvel eldorado du jazz après la fermeture de Storyville à la Nouvelle-Orléans. Armstrong, alors en pleine période "riverboats", ces bateaux à aubes remontant le Missississippi, n'hésite pas un instant. Il sera le 2eme cornet dans le Creole Jazz Band d'Oliver avec qui il entre pour la 1ère fois en studio le 5 avril 1923. Après une incursion newyorkaise dans l'orchestre de Fletcher Henderson, le trompettiste retourne à Chicago en 1925 pour fonder son propre groupe au côté de celle qu'il vient d'épouser, la pianiste Lil Hardin. Sur les affiches, il est déjà annoncé comme The World's Greatest Trumpet player -Le plus grand trompettiste au monde.
D comme Date historique. Le 28 juin 1928, à Chicago, Louis Armstrong enregistre avec son Hot Five une version de West End Blues qui fera à jamais date dans l'histoire de l'improvisation. Ce morceau gravé pour la marque Okey et dont le titre se réfère à une plage du lac Pontchartrain près de la Nouvelle-Orléans, c'est King Oliver, le mentor d'Armstrong qui l'a composé et enregistré deux mois plus tôt. Le leader ouvre et termine le morceau. Son phrasé est à la fois complexe et férocement accrocheur. Accoucheur, également, tant il a inspiré des générations de musiciens. "Cet homme fait prendre le jazz comme on fait prendre un feu timide, écrira le critique Lucien Malson avant d'ajouter: "La flamme qui surgit et danse, c'est désormais la célèbre introduction de 'West End Blues'". Louis Armstrong n'a alors que 26 ans.
E comme Ella Fitzgerald. Cheek to Cheek, joue contre joue... Rien d'étonnant à ce qu'un tel titre figure dans le répertoire en duo de Louis Armstrong et Ella Fitzgerald lorsque le producteur Norman Granz les réunit en 1956-57 dans deux albums pour le label Verve: Ella & Louis et sa suite, Ella & Louis Again, sans oublier Porgy & Bess en 1958. Cheek to Cheek, en effet... On ne peut plus les séparer, leurs voix se frôlent, le vibrato pur d'Ella, le timbre rauque deLouis... L'osmose est parfaite, surtout lorsque vient l'enrober en guise de rythmique le trio d'Oscar Peterson. On aurait rêvé d'une aussi belle rencontre avec l'autre grande Jazz Lady de l'époque, Billie Holiday, mais Armstrong ne la rencontrera qu'au cinéma, le temps d'une chanson dans New Orleans, un film un peu désuet d'Arthur Lubin sorti en 1947.
F comme Fletcher Henderson. New York, automne 1924. La section trompettes de Fletcher Henderson s'enrichit d'un troisième pupitre. C'est Louis Armstrong qui s'y colle sur les conseils de sa femme, Lil Hardin, qui l'a encouragé à s'affranchir de la tutelle de King Oliver à Chicago pour rejoindre celui que certains considèrent comme l'inventeur du big band. Débuts difficiles. Dès la première répétition, Fletcher prend Armstrong de haut. D'autres s'amusent de l'allure vestimentaire de ce jeune homme du Sud dont le caleçon long dépasse, mais le trompettiste va prendre de l'assurance, notamment sur le célèbre Shanghai Shuffle arrangé par Don Redman. Tout l'orchestre, où figure aussi un certain Coleman Hawkins, s'en trouve dynamisé. Entre deux séances, Armstrong prend aussi le temps d'accompagner Ma Rainey et surtout Bessie Smith avec un St Louis Blues d'anthologie.
G comme Gospel. Quand Louis Armstrong plonge dans la ferveur des gospels, il est évidemment touché par la grâce. C'est déjà le cas en 1938 lorsqu'il reprend When The Saints Go Marchin In, un hymne ancré dans la tradition funéraire de la Nouvelle-Orléans. Ce sera encore plus manifeste dans cet album -ou plutôt cette bible- de 1958, Louis & The Good Book, arrangé par Sy Oliver, avec le renfort d'un organiste et d'une chorale de dix chanteurs. Au gré de titres comme Go Down Moses, Down By The Riverside ou Shadrack, le jazzman se transforme en prédicateur inspiré. Ces cantiques empruntés à l'Ancien Testament ont tant parlé à son peuple longtemps esclave, comme le furent les Hébreux en Égypte. Louis & The Good Book figure parmi les albums les plus vendus dans l'histoire du jazz.
H comme Hot Five et Hot Seven: C'est avec son 1er Hot Five, de novembre 1925 à novembre 1926, que Louis Armstrong fait ses débuts de leader. Johnny Dodds est à la clarinette, Kid Ory au trombone, Lil Hardin au piano et Johnny Saint-Cyr au banjo. Le grand morceau de cette période, c'est Muskrat Ramble. Potatoe Head Blues irrigue le Hot Seven à partir de mai 1927. Kid Ory, en tournée avec King Oliver, laisse sa place à John Thomas avec en bonus un tubiste, Peter Briggs, et un batteur, Baby Dodds. Le second Hot Five, à l'automne 1927, marque le retour de Kid Ory qui laisse à nouveau sa place à Fred Robinson. À partir de juin 1928, le groupe qui grave West End Blues comprend aussi Earl Hines au piano, Jimmy Strong à la clarinette, Mancy Carr au banjo et Zutty Singletonà la batterie. Ce 2e Hot Five, à ce moment là, compte six musiciens.
I comme Individualité. C'est peut dire qu'avec Louis Armstrong, et peut-être aussi avec son contemporain immédiat, Sidney Bechet, le jazz a commencé à s'exprimer à la première personne du singulier. Soliste hors pair, il transcende par son lyrisme, sa rage de vivre et sa capacité à construire un chorus individuel et cohérent les fragilités de ses partenaires à l'époque des Hot Five et Hot Seven. En matière d'improvisation, seul le pianiste Earl Hines fait vraiment jeu égal avec Armstrong lors de ces premières sessions. À ce titre, Satchmo, comme on aimait à le surnommer, aura été la première grande individualité de l'histoire du jazz. "Sa personnalité trop forte avait rompu l'équilibre organique de la polyphonie louisianaise. Il avait ouvert la voie à un art plus individualiste", dira plus tard le trompettiste Roger Guérin.
J comme Joe Glaser. C'est en 1935 que Joe Glaser devient l'agent d'Armstrong qu'il a découvert au Sunset Café, le club de Chicago qu'il dirigeait après avoir été promoteur de boxe... et de matchs truqués. Réputé pour ses liens avec strong>Al Capone, le bonhomme n'a jamais été un enfant de chœur. D'après certains biographes d'Armstrong, c'est justement son côté fort en gueule qui aurait attiré le trompettiste, lui qui fut toujours en quête d'un père de substitution. Quoi qu'il en soit, Joe Glaser a toujours protégé Louis Armstrong même si certains lui ont reproché d'avoir entraîné le musicien dans des aventures commerciales aussi lucratives que discutables, pillant son génie au seul profit des Blancs. Joe Glaser a aussi été accusé d'avoir facilité en 1947 une descente de police contre Billie Holiday dont il était pourtant l'agent.
K comme Kid Ory. Premier employeur d'Armstrong, le tromboniste Kid Ory a été l'un des piliers du jazz de la Nouvelle-Orléans dans les années 1910-1920. Inventeur du style tailgate consistant à faire rugir de puissants glissandos en contrepoint au jeu de trompette, il engage Armstrong dans son orchestre en 1918. Le jeune cornettiste y remplace son idole, King Oliver, parti tenter sa chance à Chicago.Kid Ory retrouve Armstrong au moment du premier Hot Five en 1925. Dans les années 30, malheureusement, il disparaît de la circulation et se consacre à l'élevage de poneys avant de travailler dans les chemins de fer. Le retour en vogue du "dixieland" dans les années 40 le ramènera sur le devant de la scène, surtout après avoir été redécouvert et recruté par un certain Orson Welles pour ses émissions de radio.
L comme Lil Hardin. Louis Armstrong n'a pas eu que des mariages heureux. Entre Daisy Parker, une prostituée qu'il épouse à 17 ans, et Alpha Smith, une fille des quartiers pauvres de Chicago dont il divorce en 1942, ce n'est qu'avec Lucille Wilson, danseuse au Cotton Club, qu'il trouve vraiment le bonheur. Mais c'est surtout sa 2eme épouse et pianiste attitrée, Lil Hardin, rencontrée dans l'orchestre deKing Oliver, qui a influé sur sa carrière. Il l'épouse en février 1924, elle l'encourage à s'émanciper, notamment en rejoignant à New York l'orchestre de Fletcher Henderson. C'est également elle qui gère le premier Hot Five lorsqu'Armstrong revient à Chicago. Après leur séparation en 1931, Lil Hardin poursuit une carrière de chanteuse. Elle s'éteint le 27 août 1971, près de deux mois après la mort du légendaire trompettiste.
M comme Mayann. Fille d'esclaves issus du Ghana, Mary-Ann Albert, dite Mayann, est âgée d'à peine 16 ans lorsqu'elle met au monde le futur génie de la trompette à la Nouvelle-Orléans. Le père, Willie Armstrong, un ouvrier agricole, a déjà décampé. Il reviendra donner naissance à un autre enfant, et puis il repartira. Du coup, c'est avec sa grand-mère, Joséphine, qui est blanchisseuse, qu'Armstrongdécouvre les premiers chants de gospel à l'église. À six ans, il repart vivre avec sa mère dans le quartier chaud de Storyville. Il adore quand elle lui prépare du riz à la créole. Il s'occupe aussi de sa petite sœur quand Mayann va "travailler". Il met un peu de temps avant de comprendre de quel "travail" il s'agit et comment la Nouvelle-Orléans peut se montrer implacable pour les jeunes femmes noires sans le sou.
N comme la Nouvelle-Orléans. Quand Louis Armstrong entonne Do You Know What It Means To Miss New Orleans que Billie Holiday interprète dans un film qui les réunit en 1947, c'est tous les frissons de sa ville natale qui ressurgissent. Les parades, les fanfares et l'odeur de magnolia, "ce blues à casser les carreaux", écrira-t-il plus tard, que Buddy Bolden a joué devant lui, les secrets transmis par King Oliver... et puis aussi la dure école de la rue, les petits boulots à la va-vite (vendeur de journaux, livreur de charbon...), ou encore la maison de correction après qu'il eut tiré un coup de revolver en l'air lors du nouvel an 1913... Se souvient-il aussi des Karnofskys, cette famille juive qui l'a pris sous son aile et au nom de laquelle, jusqu'à la fin de sa vie, il portera au cou une étoile de David ?
O comme Oncle Tom. C'est une insulte dont il se serait bien passé. Louis Armstrong se fait traiter d' "oncle Tom" après la guerre. Notamment au sein de la génération bebop où son air jovial et ses mimiques légendaires renvoient au prototype du noir docile vendu aux blancs. "Je ne supportais pas son cirque", écrira Miles Davis. Dizzy Gillespie épingle lui aussi celui qu'il surnomme "le bon noir des plantations" alors même qu'Armstrong va s'engager contre la ségrégation lors des événements de Little Rock en 1957. Dizzy reviendra sur son jugement initial. J'ai mal interprété le sourire débonnaire deLouis, dira-t-il. C'était surtout pour lui un refus total "de laisser quoi que ce soit, y compris la colère liée aux frustrations raciales, le priver de sa joie de vivre et en effacer l'extraordinaire reflet sur son visage".
P comme Paris Blues. Il y eut bien sûr son duo avec Barbra Streisand dans le film Hello, Dolly ! en 1969, cinq ans après la fameuse chanson qui lui permet de supplanter les Beatles dans les meilleures ventes, ou encore sa présence au côté de Billie Holiday dans New Orleans. Mais c'est surtout dans Paris Blues, un film de 1961 de Martin Ritt, un réalisateur victime du Maccarthysme, que Louis Armstrong crève l'écran. On y croise aussi Paul Newman avec un trombone, Sidney Poitier en saxophoniste et Serge Reggiani dans la peau d'un guitariste manouche. Entre manifeste antiraciste et déambulation dans un Paris fantasmé en jazz façon Nouvelle Vague, Paris Blues bénéficie aussi d'une B.O signée Duke Ellington, avec lequel Armstrong enregistre la même année l'album The Great Reunion.
Q comme Queens. Deux étages, un petit jardin, des grandes fenêtres ou Lucille, la dernière épouse du trompettiste, peut bavarder avec ses voisines. C'est elle qui a eu le coup de foudre pour cette maison du Queens, à New York, dans le quartier populaire de Corona, pas très loin de l'aéroport La Guardia. Le couple s'y installe en 1943. Louis Armstrong y retrouve une atmosphère conviviale. L'endroit est à son image, humble et authentique. En 1969, il propose à ses voisins de faire recouvrir leur maison de brique comme il l'a fait pour la sienne, car il ne veut pas passer pour le snob du quartier. Il s'y éteint à 69 ans, le 6 juillet 1971, suite à une défaillance cardiaque durant son sommeil. Sa tombe est située au cimetière de Flushing, dans le même quartier. Depuis 2003, la maison devenue musée est ouverte au public.
R comme River Boats. Après une première expérience dans l'orchestre de Kid Ory, Louis Armstrong commence à travailler en 1918 sur sur les river boats, ces grands bateaux à excursion qui remontent lentement le cours du Mississippi. Il rejoint notamment la formation du pianiste et chef d'orchestre Fat Marable à bord de la Streckfus Line, une compagnie basée à St-Louis, dans le Missouri. Ce sont des années d'apprentissage pour Armstrong qui apprend le solfège tout en maniant un répertoire dansant. Le tromboniste Jack Teagarden a gardé un souvenir ému de cette époque lorsque, se promenant sur les quais de la Nouvelle-Orléans, il voyait surgir du brouillard un bateau avec à l'avant, écrira-t-il, "un Noir debout dans le vent, sa trompette pointée en l'air...C'était Louis Armstrong, descendu du ciel comme un dieu."
S comme Satchmo. Son surnom le plus célèbre. C'est Mathison Brooks, le patron de la revue britannique The Melody Maker, qui l'emploie pour la première fois en 1932. Contraction de "satchel mouth", qui signifie "bouche en forme de besace", ce mot-valise fait allusion à la très large bouche du trompettiste ( il en fit même une chanson, Dipper Mouth Blues...), ainsi qu'à ses lèvres d'acier. Des lèvres pourtant bien fragiles... A force d'aller débusquer des notes suraiguës à la trompette, elles s'abîment et le font souffrir, notamment lors de sa tournée européenne en 1933-1935 et de ses sessions parisiennes sous la houlette du producteur Jacques Canetti. C'est à cette époque que Louis Armstrong s'installe pendant huit mois dans un appartement que lui a trouvé Jacques Canetti à Montmartre, rue de la Tour d'Auvergne.
T comme Trompette. Sa puissance, son registre aigu et son timbre brillant ont fait de la trompette l'instrument-phare des débuts du jazz, aussi bien dans les orchestres de parade que dans les salles de bal. Louis Armstrong va en sublimer les possibilités grâce à son sens du phrasé et ses inventions rythmiques. Dès 1926, il renonce au cornet qu'il avait appris à manier en maison de correction. À la trompette, il a tout le loisir de façonner une sonorité ample et solaire qui dépasse la technique pure. Générosité et force d'âme lui sont autant d'atouts pour ouvrir l'ère des grands solistes. Miles Davis, critique sur d'autres aspects de son parcours, aura toujours à cœur de témoigner de sa dette musicale envers son aîné: "Dès qu'on souffle dans un instrument, disait-il, on sait qu'on ne pourra rien sortir que Louis n'ait déjà fait ".
U comme URSS. Figure centrale du jazz, Louis Armstrong était forcément amené à en être le meilleur ambassadeur. Il n'a pourtant jamais joué dans la Russie communiste où il était pourtant attendu en 1957 à l'initiative du département d'État. On était alors en plein dégel entre Moscou et Washington, mais voilà qu'au cœur de l'Arkansas, à Little Rock, neuf lycéens noirs sont interdits d'entrée dans un établisssement réservé aux Blancs. Armstrong explose. Plutôt conciliant jusqu'ici, le voilà qui accuse dans une interview le président Eisenhower de manquer de "tripes" avant d'annuler purement et simplement sa tournée en ex-URSS. Einsenhower enverra finalement la garde fédérale escorter les écoliers noirs de Little Rock, mais les Russes, eux, devront se faire une raison: ils ne pourront jamais applaudir "tovaritch" Armstrong.
V comme Vibrato. "Le vibrato d'Armstrong est de type vocal", écrit André Hodeir dans son essai, Hommes et problèmes du jazz. En d'autres termes, sa sonorité à la trompette serait l'adaptation instrumentale d'un vibrato conçu pour la voix. Une voix chaude, voilée, parfois rugueuse, qui lui vient paradoxalement d'un pépin de santé. Le trompettiste souffre en effet d'un œdème des cordes vocales et d'une hypertrophie de ce que les médecins appellent les "fausses cordes vocales", situées en haut du larynx. Cette voix particulière lui servira en tout cas à sublimer un répertoire populaire tout en participant à l'essor du scat lorsqu'en 1926, alors que les partitions lui sont tombées accidentellement des mains, il improvise à sa manière sur le morceau Heebie Jeebies. Ce sera son premier succès discographique.
W comme What A Wonderful Word. Le bonheur est une idée subversive. Surtout quand il est chanté par Armstrong dans What a Wonderful World. Jugée peu en phase avec l'ambiance post-11 septembre, cette chanson sera interdite en 2001 par une compagnie amércaine possédant plus d'un millier de stations de radio. Armstrong en aurait souri, de cette censure. Déjà, en 1967, lorsque Bob Thiele et George David Weiss lui offrent What a Wonderful World, il infuse de toute son ironie ce que de telles paroles peuvent avoir de mielleuses alors que son pays est infecté de racisme et de napalm- celui que les États-Unis larguent au même moment sur les Vietnamiens. C'est d'ailleurs dans le contexte plus explicite de Good Morning Vietnam, le film avec Robin Williams, que What A Wonderful World connaîtra un autre succès quelques deux décennies plus tard.
X comme Xénophobie. Quand la passion pour Armstrong devient un manifeste antiraciste... C'est bien tout le sens de la célèbre chanson de Claude Nougaro, Armstrong, dont Maurice Vander signe les arrangements en 1965. S'adressant au trompettiste comme à un frère, Nougaro pose ses propres mots sur le biblique Go Down Moses que Satchmo avait interprété sept ans auparavant dans son album de "negro spirituals", Louis & The Good Book. Les paroles, quant à elles, sont une ode à la tolérance qui tourne en dérision les préjugés racistes, notamment dans le dernier couplet, quand Nougaro écrit qu' "Un jour, tôt ou tard/ On n'est que des os/ Est ce que les tiens seront noirs ?"... Et il ajoute: "Au-delà de nos oripeaux/Noir et Blanc sont ressemblants/Comme deux gouttes d'eau."
Y comme You Rascal You. Duo d'enfer que ce You Rascal You -Vieille canaille, en français- qui réunit durant l'été 1950 Louis Armstrong et Louis Jordan. C'est le producteur Milt Gabler qui les rassemble et les entoure du Tympany Five, la formation survoltée avec laquelle Louis Jordan a déjà signé toute une série de hits R&B qui ont rendu Armstrong un peu jaloux. Ces deux-là, qui se connaissent depuis le début des années trente, sont restés en même temps bons amis. Résultat: un festival de swing et de joie, de riffs et de réparties, avec pour couronner le tout une note aiguë qu'Armstrong ne lâche pas pendant plus de 10 secondes avant de la faire glisser dans un registre encore plus aigu. Par la suite, la carrière de Louis Jordan va rapidement décliner. Armstrong, en revanche, a encore de belles années devant lui.
Z comme Zutty Singleton. En patois créole, "mignon" se traduit par "zutty", mais au-delà de ce surnom, le batteur qui accompagne Louis Armstrong en 1928 lors des sessions légendaires du Hot Five à Chicago possède bien d'autres vertus. Moins démonstratif que Baby Dodds, le monstre sacré de la batterie néo-orléanaise, Zutty Singleton est d'abord un constructeur qui sait moduler ses interventions au service des solistes. Trait d'union entre la tradition de la Nouvelle-Orléans et une approche plus moderne, on le retrouve plus tard dans le film Stormy Weather où il stupéfait Fats Waller avec un sacré solo sur Ain't Misbehavin'. Son inclination pour le jazz traditionnel , enfin, ne l'a pas empêché d'enregistrer avec un certain Charlie Parker qu'il considérait comme le "plus grand" des musiciens de jazz.
Louis Armstrong (4 août 1901-6 juillet 1971)